Depuis deux ans, la chocolaterie artisanale et éthique Ecocoa propose un chocolat ‘bean-to-bar’, dont le cacao de forêt est importé en circuit court depuis le Cameroun, avec le double objectif d’y lutter contre la déforestation et d’assurer un revenu décent aux cacaoculteurs.
Lancée au début de 2022, la chocolaterie Ecocoa fabrique à Péruwelz un chocolat artisanal qui se veut à la fois bon pour la nature, les consommateurs et les producteurs de cacao. « Cela peut sembler bête à dire, mais nous sommes une chocolaterie un peu particulière dans le sens où nous fabriquons… du chocolat », présente Caroline Amorison, à la tête de la jeune entreprise. « Il faut savoir que seulement 5 à 10% des chocolateries fabriquent elles-mêmes leur chocolat, les autres se fournissent auprès de grands groupes comme Barry Callebaut ou Belcolade (Puratos, NDLR) et se contentent de le retravailler. De notre côté, nous avons fait le choix du ‘bean-to-bar’, c’est-à-dire partir de la fève de cacao. »
Cette fève, Ecocoa la fait venir en direct depuis le Cameroun, via une filière en circuit court mise en place par EticWood, un bureau d’études belge spécialisé dans la préservation des forêts. « Il y a plusieurs années, EticWood a lancé un projet visant à régénérer des cacaoyères abandonnées ou peu productives dans le village de Kongo, avec pour objectif de produire un cacao de forêt. La logique du projet était que si la forêt devenait pour les villageois le moyen de subvenir à leurs besoins, alors ils en prendraient encore plus soin. Un partenariat en ce sens a été noué avec une cinquantaine de familles, et de petites installations de fermentation et de séchage des fèves ont également été construites. »
La culture du cacao sous couvert forestier revêt de multiples avantages, poursuit Caroline Amorison. « D’un point de vue économique, la méthode permet de diminuer les besoins de renouvellement des cacaoyers en augmentant leur durée de vie, ce qui représente une économie pour les producteurs. De plus, le cacao produit est de plus grande qualité et peut ainsi être mieux valorisé commercialement. Par contre, l’ombrage apporté par la forêt diminue la productivité des plants et favorise l’apparition de champignons et de moisissures, il y a donc un équilibre délicat à trouver.
Au niveau écologique, il n’y a que du positif : non seulement les arbres autour des cacaoyers stockent une quantité significative de carbone, mais en plus la forêt héberge une biodiversité beaucoup plus importante que les plantations ‘pures’. Enfin, d’un point de vue social, le maintien des forêts autour et dans les cacaoyères joue un rôle primordial dans la préservation des modes de vie traditionnels. » Mais une fois cette phase menée à bien, encore fallait-il trouver des débouchés à même de valoriser le produit ainsi obtenu. « C’est dans ce but qu’Ecocoa a été lancé », ajoute la chocolatière.
Rendements et rémunérations en hausse
Dans la chaîne de valeur, EticWood se charge donc du volet production des fèves de cacao, en mettant par exemple en place des méthodes naturelles pour améliorer le rendement des cacaoyers, en prenant en charge les étapes de fermentation et de séchage des fèves ou encore en épaulant la coopérative des cacaoculteurs. Une fois le cacao mis en sac et envoyé à Péruwelz, Ecocoa prend le relais en assurant les volets transformation et commercialisation.
Ces deux dernières années, la chocolaterie a chaque fois importé quelque huit tonnes de cacao, c’est-à-dire l’essentiel de la production de Kongo. « Le prix payé pour les fèves était de deux fois le prix du marché local (qui était alors d’environ 1.900 euros la tonne, NDLR). Il faut ajouter à cela que nous achetons les fèves vertes et qu’elles sont ensuite traitées dans un centre post-récolte au sein duquel sont employées quatre personnes dont les salaires sont payés par EticWood. Les planteurs ne se chargent donc plus du traitement des fèves, tout en étant mieux rémunérés que lorsqu’ils devaient le faire », précise encore Caroline Amorison.
De quoi leur permettre d’atteindre le living income ? Ce n’est pas clair à ce stade du projet. « Nous travaillons en zone rurale très reculée où les possibilités de développement d’activités génératrices de revenus sont très faibles. Par conséquent, soit les villageois cultivent pour leur subsistance, soit ils ont un peu de cacao qu’ils revendent lorsque des acheteurs passent et au prix que ces derniers imposent », poursuit-elle. « Ce qui est sûr par contre, c’est que les emplois créés dans le centre de fermentation et de séchage sont bien au-dessus du living income, et même au-dessus du barème légal, tandis que les planteurs ont vu leurs rendements s’améliorer, tout comme leurs rémunérations. »
Premiers impacts concrets
Afin de permettre à ces cacaoculteurs d’améliorer encore davantage leurs conditions de vie à l’avenir, EticWood planche par ailleurs sur diverses possibilités de diversification des cultures, et donc des revenus. « En plus d’avoir consolidé la coopérative des planteurs, qui sont aujourd’hui mieux organisés et structurés afin de mieux défendre leurs intérêts auprès de potentiels autres acheteurs de leur choix, nous avons également effectué différents tests de production de produits forestiers non ligneux comme la noisette, la mangue sauvage ou le poivre, ainsi que de fruits séchés, dont la banane et l’ananas. Et nous sommes à la recherche de financements pour faire passer ces projets à une échelle supérieure », explique encore la responsable d’Ecocoa. S’il faudra sans doute attendre quelques années encore pour que le projet dans son ensemble porte pleinement ses fruits au niveau des conditions de vie des habitants de Kongo, certains signes encourageants commencent déjà à apparaître, se félicite Caroline Amorison. « Ma collègue qui en revient me disait avoir constaté que plusieurs personnes s’étaient construites des maisons en dur. Cela peut paraître bête, mais cela atteste pour nous d’une certaine réussite. C’est un premier impact concret. Le fait que plusieurs femmes aient gagné en autonomie financière, grâce à leur contrat de travail dans le centre de traitement des fèves, constitue également une avancée. En outre, moins de gens désormais semblent enclins à vouloir quitter le village pour aller chercher du travail en ville. »
Un chocolat non certifié (pour l’instant)
À ce jour, et malgré les différentes initiatives mises en place en termes de durabilité des cultures ou de commerce équitable, le chocolat d’Ecocoa ne dispose pourtant ni de la certification bio ni du label Fairtrade. « C’est tout simplement dû au fait que nous n’avons pas encore entamé les démarches pour nous faire certifier. Nous n’en avons pas fait une priorité jusqu’ici parce que nous avions d’abord d’autres choses à mettre en avant. De toute manière, nous savons que nous sommes durables et équitables », explique encore la chocolatière. « Mais ce serait dommage de nous fermer des portes. Il est clair qu’à l’avenir, nous aimerions avoir ces labels, vu que certains magasins les demandent pour vendre nos produits. » La vente, justement, représente le principal enjeu pour Ecocoa au cours des prochains mois et années. « Nous avons diverses sources de financements, des soutiens de fonds européens, etc. Mais l’optimisation des ventes est évidemment notre grand défi pour pérenniser notre projet, car plus nous vendrons de chocolat, plus nous achèterons de cacao aux producteurs de Kongo. » Un autre enjeu sera également de parvenir à sensibiliser le consommateur aux problématiques qui traversent le secteur du chocolat.
« Le manque de connaissances du consommateur sur ces questions fait qu’il ne comprend pas toujours d’où vient la différence de prix entre nos produits et ceux qui sont plus discutables sur le plan éthique », regrette la responsable d’Ecocoa. Éduquer les palais des gourmands les moins exigeants constituera également un challenge. « Nous nous efforçons de mettre la fève de cacao et ses arômes en évidence. Cela plaît aux amateurs, mais ceux qui sont habitués au chocolat très sucré peuvent ne pas aimer, ce qui est un comble finalement. » Et Caroline Amorison de conclure : « Il est indispensable de mettre en lumière les coulisses de ce marché si l’on veut que les fournisseurs éthiques puissent s’y faire une place. C’est pourquoi il est essentiel que les réglementations, à l’instar de celles sur la déforestation, soient poussées afin d’affaiblir quelque peu les acteurs les plus déloyaux, dirais-je, et instaurer davantage d’équité. »