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Coup de frein sur la protection des forêts ?La Commission envisage un délai pour le RDUE

A la suite de la pression croissante exercée par les partenaires mondiaux, les entreprises et même certains États membres de l’UE, la Commission européenne a annoncé le 2 octobre une proposition visant à retarder de 12 mois la mise en œuvre de sa loi phare sur la déforestation.

Le règlement de l’UE sur la déforestation (RDUE) ambitionne d’interdire l’importation et la vente de produits liés à la déforestation ou à la dégradation des forêts sur le marché de l’UE. Il vise des matières premières clés telles que le cacao, le café, le soja, la viande bovine, l’huile de palme, le caoutchouc et le bois, ainsi que leurs produits dérivés comme le cuir et les meubles.

En vertu de ce règlement, les entreprises devront prouver que leurs produits ne proviennent pas de terres déboisées, en mettant en œuvre des systèmes de diligence raisonnable et de traçabilité robustes utilisant des méthodes telles que la surveillance par satellite et les données de géolocalisation.

La législation a été saluée comme une étape importante dans la lutte contre la déforestation mondiale et le changement climatique, l’UE étant le deuxième contributeur à la déforestation par ses importations, après la Chine, selon les données du WWF. Elle devait initialement entrer en vigueur le 30 décembre 2024. Toutefois, la Commission propose à présent de repousser cette date au 30 décembre 2025 pour les grandes entreprises et au 30 juin 2026 pour les petites et moyennes entreprises.

Sous pression

Cette décision fait suite à des mois de lobbying de la part de plusieurs acteurs. Des pays comme le Brésil, l’Indonésie ou la Malaisie affirment que la loi pourrait avoir un impact négatif sur leurs économies, en particulier sur les petits exploitants agricoles. Par ailleurs, de nombreuses entreprises s’inquiètent de leur capacité à se conformer aux nouvelles réglementations. « Les partenaires mondiaux ont exprimé à plusieurs reprises leurs inquiétudes quant à leur état de préparation, tout récemment au cours de la semaine de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York »1, a déclaré la Commission.

Sur le plan politique, l’éventuel report a également suscité un débat au sein de l’UE. Certains États membres, dont la République tchèque et l’Allemagne, ont fait pression pour que la loi soit reportée, craignant qu’elle n’impose des charges bureaucratiques et économiques déraisonnables à leurs industries. Le ministre tchèque de l’Agriculture, Marek Výborný, a déclaré : « Je fais campagne depuis longtemps pour un report du règlement sur la déforestation »2, citant des préoccupations concernant l’impact sur certaines entreprises. De nombreux États membres de l’UE soutiennent que le calendrier de mise en conformité était trop « agressif », ce qui a conduit à la décision de prolonger le délai de mise en œuvre.

D’autre part, la décision a été condamnée par des politiciens et par certaines entreprises qui ont déjà beaucoup investi pour se préparer à l’échéance initiale. Ferrero, Mars Wrigley, Mondelēz International, Nestlé et Tony’s Chocolonely ont toujours soutenu l’introduction du RDUE et s’opposent à toute demande de réouverture de sa substance.3  L’ancien commissaire européen à l’environnement, Virginijus Sinkevičius, qui a rédigé la législation initiale, s’est inquiété du fait que ce retard « mettrait chaque jour 80 000 acres (32 375 hectares) de forêt en danger, alimenterait 15 % des émissions mondiales de carbone, romprait la confiance avec les partenaires mondiaux de l’UE et nuirait à sa crédibilité en ce qui concerne ses engagements en matière de climat. »4

Les groupes de défense de l’environnement sont très critiques envers la Commission et l’accusent d’avoir cédé à la pression de l’industrie tout en ignorant les coûts environnementaux de l’ajournement. Julian Oram, directeur politique principal de Mighty Earth, a condamné le report en affirmant : « Retarder le RDUE revient à jeter un extincteur par la fenêtre d’un bâtiment en feu.»5 « Von der Leyen aurait tout aussi bien pu manier la tronçonneuse elle-même »6 , a déclaré de son côté Greenpeace, tandis que pour Anke Schulmeister-Oldenhove du WWF : « La présidente Von der Leyen donne en fait son feu vert à la poursuite de la déforestation pendant 12 mois supplémentaires, alors qu’une action urgente est nécessaire pour y mettre un terme.»7

Rainforest Alliance considère qu’il s’agit d’une « contradiction flagrante avec tous les engagements de l’UE visant à mettre un terme à la perte de biodiversité mondiale et au changement climatique ». L’organisation a averti que le report pourrait créer « un dangereux précédent, qui pourrait conduire à la réouverture d’autres règlements et directives cruciaux adoptés dans le cadre du Green Deal de l’UE »8.

Pas d’arrière-pensées et document d’orientation

Malgré le retard proposé, la Commission souligne que cela ne remet pas en cause les objectifs ou la substance de la loi. Les 12 mois supplémentaires sont destinés à servir de « période de mise en place progressive pour assurer une mise en œuvre correcte et efficace » sans compromettre les objectifs de la loi. « Compte tenu de la nouveauté du RDUE, de la rapidité du calendrier et de la diversité des acteurs internationaux concernés, la Commission estime qu’un délai supplémentaire de 12 mois pour la mise en place progressive du système est une solution équilibrée pour aider les opérateurs du monde entier à garantir une mise en œuvre harmonieuse dès le départ. »9

Dans le cadre de son annonce, la Commission a également publié de nouveaux documents d’orientation et des FAQ mises à jour visant à clarifier les exigences de conformité et à fournir un soutien aux entreprises pendant cette phase de transition, ainsi qu’à aider les autorités nationales à les faire respecter. Il s’agit notamment de mettre en place un point de contact unique pour l’assistance informatique et de fournir des instructions détaillées aux utilisateurs afin qu’ils puissent s’orienter dans les processus de mise en conformité. La Commission intensifie également le dialogue avec les pays concernés et a annoncé que le système de benchmarking des pays sera finalisé d’ici le 30 juin 2025.

Prochaines étapes et implications

Le report proposé doit encore être approuvé par le Parlement européen et le Conseil avant d’entrer en vigueur. Alors que l’UE continue de se positionner en tant que leader en matière d’action climatique, le sort du RDUE sera suivi de près par les défenseurs de l’environnement, les chefs d’entreprise et les partenaires mondiaux. Certains législateurs et groupes environnementaux craignent que la réouverture du dossier n’entraîne des tentatives d’affaiblissement des dispositions du règlement.

Samuel Poos, Project manager du Trade for Development Centre d’Enabel.

Sources:

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