Lancée en 2016 par Julia Mikerova et Björn Becker, la marque bruxelloise de chocolat ‘bean-to-bar’ MIKE&BECKY a toujours fait de la transparence la pierre angulaire de son projet, et ce, dans une optique de durabilité sociale et environnementale tout au long de sa chaîne d’approvisionnement.
Björn ‘Becky’ Becker pourrait parler du chocolat, de son processus de fabrication ou de MIKE&BECKY, la marque qu’il a créée il y a bientôt 10 ans avec sa femme, Julia ‘Mike’ Mikerova, pendant des heures. Mais vous ne l’entendrez jamais dire qu’il est chocolatier. « Nous sommes des ‘faiseurs de chocolat’, des ‘chocolate makers’ », souligne-t-il. « Un point sur lequel nous sommes déjà différents, c’est le fait que, dès le début du projet, nous avons voulu nous concentrer sur la fabrication de chocolats ‘single origin’, que ce soit pour confectionner des tablettes ou du chocolat chaud, mais certainement pas des pralines et autres », ajoute l’Allemand d’origine, mais Bruxellois de cœur depuis 25 ans. « Pour le chocolat chaud, cela se passe dans notre salon de dégustation situé à Uccle, où nous entretenons une connexion directe avec nos clients et les gens en général. Quant à nos tablettes, elles sont fabriquées dans notre atelier anderlechtois et vendues dans notre établissement ucclois, ainsi que dans divers magasins spécialisés, que ce soit à Bruxelles, en Belgique, aux États-Unis ou même en Chine. »
Annuellement, MIKE&BECKY produit environ 6 tonnes de chocolat, à partir de quelque 4 tonnes de fèves de cacao, et ce, au travers de trois gammes distinctes : les ‘single origin’, les ‘aromatisés’ (mangue, noisettes, etc.) et enfin les chocolats dits ‘spéciaux’. « Au sein de cette dernière gamme, nous jouons un peu avec le processus de fabrication », s’amuse Björn Becker. « Nous avons par exemple une tablette pour laquelle les ingrédients ont été broyés moins finement qu’à l’accoutumée, ce qui confère au chocolat une texture en bouche différente de ce dont on a l’habitude. Au passage, cela constitue aussi un petit pied de nez à l’industrie belge qui se vante de produire le chocolat le plus fin, alors qu’il ne s’agit en fait que d’une question de machine, et non de savoir-faire soi-disant belgo-belge. »
La transparence en guise d’assurance
Un autre point sur lequel MIKE&BECKY entend se démarquer par rapport aux chocolatiers traditionnels, c’est sur la transparence de sa chaîne d’approvisionnement, une notion à laquelle le couple bruxellois accorde une importance centrale depuis les débuts de son projet chocolaté. « Pour toutes les origines avec lesquelles nous travaillons, nous affichons sur nos emballages l’ensemble des informations dont nous disposons à leur sujet : adresses des coopératives, numéros de téléphone, coordonnées de géolocalisation des plantations, promesses en matière de durabilité, etc. De plus, nous avons déjà rencontré en personne la plupart des cacaoculteurs avec lesquels nous collaborons, généralement à l’occasion de salons consacrés au chocolat », poursuit ‘Becky’.
Mais comment avoir la certitude que ce que les producteurs expliquent ou promettent se vérifie effectivement au quotidien sur le terrain ? « Nous devons leur faire confiance, même si c’est évidemment la pire chose à dire. En allemand on dit : ‘la confiance, c’est bien, le contrôle, c’est mieux’. Une manière d’appliquer ce contrôle est de passer par la certification via une entreprise tierce comme Fairtrade, UTZ, etc. Toutefois, d’après ma propre expérience, il s’agit d’un système qui ne fonctionne plus. La façon dont nous abordons la chose est différente, nous voulons changer de paradigme, raison pour laquelle nous prônons, à la place, une transparence totale. Nous rendons le système visible, visitable et vérifiable. Si un client, un concurrent, un journaliste ou quelqu’un d’autre ne me croit pas quand j’affirme que mon cacao provient, par exemple, de la coopérative péruvienne 100% féminine Qori Warmi, il lui suffit de leur passer directement un coup de fil, de leur poser des questions, voire de se rendre sur place. Nous n’avons pas les moyens de tout vérifier personnellement sur place dans les moindres détails, mais nous donnons la possibilité au public de le faire. Et si quelqu’un devait venir vers nous en nous disant, preuves à l’appui, qu’une coopérative a menti, nous cesserions immédiatement de travailler avec elle, et sa réputation au sein de la communauté ‘bean-to-bar’ en prendrait un sacré coup. C’est cette pression, cette accountability, qui assure le contrôle.
En procédant de la sorte, nous allons de toute manière déjà bien plus loin que tout ce que propose l’industrie. Traçabilité n’est pas transparence. Les Callebaut, Mondelez et autres grands groupes savent très bien d’où provient leur cacao, mais ils feront toujours tout ce qui est en leur pouvoir pour que personne d’autre ne le sache vraiment. »
« Le système Fairtrade ne fonctionne plus »
Malgré cette défiance envers le système de la certification, MIKE&BECKY n’évolue pourtant pas totalement en marge de celui-ci. « Nous sommes en effet certifiés bio à 100% », explique Björn Becker. « À nos débuts, nous avons tenté de travailler avec des producteurs qui faisaient du bio, mais qui n’avaient pas les moyens de se faire certifier. Cela nous a brisé le cœur, mais nous avons dû arrêter pour des raisons principalement logistiques. Le problème vient du fait qu’à partir du moment où on utilise du cacao qui n’est pas certifié bio, il faut une séparation très stricte des produits lors du processus de fabrication, au risque de ‘contaminer’ l’ensemble de sa production aux yeux du certificateur. Mais mon rêve serait que l’on puisse se passer de cette certification.
Pourquoi quelqu’un qui veut travailler correctement, sans pesticide, doit avoir à subir de nombreuses vérifications, montrer pattes blanches, et en prime payer pour arborer le logo, alors que ceux qui utilisent des pesticides sont exemptés de tout cela ? » En ce qui concerne le commerce équitable, les choses sont par contre totalement claires dans le chef de MIKE&BECKY : travailler selon ses principes constitue une évidence, mais qui ne passe pas par un approvisionnement en cacao labellisé Fairtrade. « Dans notre communauté du chocolat ‘bean-to-bar’, personne ne passe par Fairtrade. À mon sens, ce système est cassé et cela ne nous intéresse donc pas. Le prix le moins cher que nous ayons jamais payé pour un kilo de cacao était de 5 euros, soit bien plus que le prix Fairtrade. C’était un chouette système il y a 30 ans, c’était un game-changer, mais au 21e siècle, il ne fonctionne plus. »
Des importateurs eux aussi transparents
Björn Becker peut-il dès lors assurer que l’ensemble des cacaoculteurs auprès desquels il se fournit atteignent bien le living income ? « Je n’aurai jamais la prétention de l’affirmer, mais j’ai bon espoir que ce soit le cas. En tout cas, je crois à la transparence et au bon travail des personnes qui œuvrent tout au long de notre chaîne d’approvisionnement. Et si je veux en avoir le cœur net, je peux le vérifier. En outre, j’ai également confiance en mes collègues chocolate makers qui se fournissent auprès des mêmes intermédiaires.
D’ailleurs, nous parlons au sein de notre communauté de créer notre propre label qui serait lié uniquement à la transparence de la chaîne d’approvisionnement. L’idée serait d’apposer sur les emballages, à l’échelle internationale, un QR-code qui renverrait vers une page web qui renseignerait la liste des ingrédients, les allergènes, mais aussi toutes les étapes du processus : qui sont les producteurs, qui est l’importateur, toutes les infos de contact, etc. C’est un projet énorme, de longue haleine, mais qui a surtout besoin de financement… » Les personnes qui œuvrent au sein de la chaîne d’approvisionnement de MIKE&BECKY ne sont de toute manière guère nombreuses. « Nous n’avons qu’un seul intermédiaire entre nous et la coopérative à laquelle nous achetons notre cacao (parfois deux lorsqu’une autre coopérative se charge de la fermentation des fèves, ndlr), c’est l’importateur. Et nous travaillons exclusivement avec trois personnes : Katrien Delaet, de Silva Cacao, à Anvers ; Emily Stone, de Uncommon Cacao, basé aux USA mais qui dispose d’un entrepôt à Amsterdam ; et Albert Smith, de Crafting Markets, également à Amsterdam. Tous trois connaissent sur le bout des doigts les tenants et les aboutissants sociaux et environnementaux dans les plantations et publient chaque année des rapports très transparents sur leurs activités. » Comme s’en félicite Björn Becker, Uncommon Cacao va même jusqu’à systématiquement publier en ligne l’ensemble des contrats que la société conclut, tandis que les deux autres importateurs les partagent sur demande.
« L’industrie du chocolat va droit le mur »
Malheureusement, cette transparence fait office d’exception dans un secteur largement dominé par les producteurs industriels. « À mon sens, l’industrie du chocolat est enfermée dans une logique qui va droit le mur, et elle ne parvient pas à véritablement dévier de sa trajectoire », déplore le cofondateur de MIKE&BECKY. « Le secteur ajoute beaucoup de communication, de marketing, de fake innovations… Mais au final, cela ne change rien au fait que 99% du chocolat est produit d’une façon catastrophique, avec tous les impacts négatifs que l’on peut imaginer : déforestation, travail des enfants, pauvreté, etc. En Belgique, on a tendance à se dire que ce n’est pas notre faute, que nous faisons le meilleur chocolat du monde, alors qu’en réalité, c’est 100% notre faute. Nous sommes l’un des plus gros producteurs mondiaux, nous sommes responsables et nous ne pouvons pas nous cacher. On me dit que c’est irréaliste de régler ces problèmes ? Je réponds que cela deviendra réaliste le jour où l’on poussera enfin le cacao et le chocolat dans la champions league des produits qualitatifs, aux côtés du vin, du fromage, du café, etc.
Toutes les bonnes choses sont assorties d’un nom, d’une adresse, d’un terroir. Même pour le pire des vins, il n’est jamais marqué sur la bouteille ‘vin rouge, origine : Europe’, or on l’accepte pour le chocolat. Toutefois, cela nécessiterait que l’industrie change son mode de production, et changer ça fait mal. Le secteur préfère donc rester dans le déni. Le maximum qui est fait actuellement, c’est Beyond Chocolate, et l’initiative ne cesse de reporter l’échéance à laquelle le secteur belge du chocolat doit devenir durable. Et encore, il faut voir ce qu’elle entend par durable… Selon moi, Beyond Chocolate est une catastrophe, un cache-sexe qui enlève de la pression sur le système, ce qui fait que rien ne bouge. Je râle sur Beyond Chocolate et les labels parce qu’ils font du mal à notre communauté, celle de tous ceux qui travaillent quotidiennement à faire vivre cette quasi-utopie. Ces initiatives donnent bonne conscience au consommateur, et celui-ci ne comprend dès lors plus pourquoi nos prix sont bien plus élevés alors que l’on ne parle pas du tout de la même chose. »
Pour tenter de remédier à cela, MIKE&BECKY s’efforce, à sa petite échelle, de communiquer au maximum, voire « d’éduquer » les consommateurs. « Ces derniers doivent être informés, ils doivent savoir comment et où sont produites les denrées qu’ils achètent, dans quelles conditions, etc. Mais les gens qui ont les moyens de débourser 6 euros pour acheter une tablette de chocolat de 60 grammes constituent une minorité. La part de marché des produits ‘bean-to-bar’ au niveau mondial est minuscule, de l’ordre de 0,4%. Il s’agit néanmoins du segment qui connaît la plus forte croissance. Mais pour que les choses prennent véritablement de l’ampleur, il faudrait une véritable volonté de la part du monde politique de communiquer sur le sujet et de se confronter à l’industrie. »