Un café citoyen est généralement un lieu convivial où l’on débat de problématiques de société. A Louvain-la-Neuve, le concept a été affiné. Il ne s’agit pas seulement de conscientiser les citoyens sur un problème de société, mais aussi de prouver qu’une entreprise respectant tous les principes éthiques, même dans un secteur aussi difficile que celui de l’horeca, peut s’avérer rentable.
C’est un peu à l’écart de la célèbre place des Wallons et en face de Respect-Table, un sandwich-bar slow food équitable, que l’Altérez-Vous a ouvert ses portes en 2009 à Louvain-la-Neuve, place des Brabançons.
A l’origine, on trouve quatre étudiants qui, pour trois d’entre eux, faisaient partie du kot à projet Unicef et qui, surtout, étaient bénévoles pour les Magasins du Monde-Oxfam. « Nous allions souvent à des conférences sur l’écologie, l’environnement, et nous y rencontrions toujours les mêmes personnes », explique Sorina Ciucu, l’une des fondatrices. « Nous nous sommes alors posé la question : qu’est-ce qu’on peut faire pour sensibiliser davantage de monde ? Après chaque conférence, nous avions envie de continuer le débat de manière informelle, mais il n’y avait pas d’endroit assez éthique à nos yeux. C’est alors que nous est venue l’idée de créer un café, un lieu convivial qui nous permettrait d’atteindre un public plus large. »
Pour avoir plus d’expérience, nous avons intégré dans notre équipe deux personnes plus âgées que nous qui, leur carrière derrière eux, pouvaient accorder du temps et un regard critique à notre projet. Ensuite, cela a été très vite. Après six mois de préparation, l’Altérez-Vous ouvrait ses portes à la rentrée universitaire de 2009.
« Ce qui nous a pris le plus de temps, c’est travailler sur les statuts. Nous hésitions entre ASBL et coopérative. Finalement, nous avons choisi le statut de coopérative à finalité sociale, car ça reflétait l’initiative commune à l’origine du projet portée par les membres fondateurs, et ça répondait à la volonté d’impliquer les acteurs locaux en ouvrant la coopérative. De même, notre objectif était de prouver qu’il était possible d’avoir un projet entrepreneurial rentable tout en restant éthique. »
L’effet papillon
Pour ne pas devoir faire face à des assemblées trop mouvantes et pour responsabiliser davantage les coopérateurs, la part sociale a été fixée à 250 euros, une somme à la fois conséquente et raisonnable. De dix coopérateurs au départ, la coopérative est aujourd’hui passée à 110. Les coopérateurs, qui bénéficient d’une réduction de 10 % sur la carte, viennent du milieu familial, universitaire ou étudiant, auxquels s’ajoutent des personnes pensionnées.
Le nom du café fait penser à se désaltérer. « Mais ça veut aussi dire ‘changez-vous’, avec l’idée que l’on peut changer à tout moment », ajoute Sorina. Pour logo, c’est un papillon qui a été choisi. « Le papillon, petit être fragile, libre et joyeux, incarnant notre volonté de changement d’un petit coin de la planète à l’entièreté de celle-ci », précise-t-elle encore.
Une cuisine de qualité
À l’intérieur, l’endroit est cosy : des couleurs chaudes aux murs, un éclairage discret, des tables de bois massif, une musique jazzy, un canapé où l’on peut s’affaler dans un coin et juste à côté, un piano droit. Les clients s’y sentent à l’aise. Ils papotent tranquillement en dégustant une bière artisanale ou un café équitable. L’endroit s’anime beaucoup plus le midi, à l’heure du repas, « et la plupart des clients viennent se restaurer sans vraiment connaître le projet qu’il y a derrière, car nous proposons une alimentation durable, qui respecte la saisonnalité ».
Aujourd’hui, le café a en effet trouvé sa clientèle et fait des bénéfices. Il emploie sept équivalents temps plein et a dégagé 6.200 euros de bénéfice net en 2013. « C’est peu, car on est dans un secteur – l’horeca – qui est très dur et gourmand en personnel. Plus de 40% de nos charges vont pour le personnel, nous ne travaillons que de la qualité et nous pratiquons des prix corrects. » Les rares plats de viande sont en effet à 14 euros. Mais au menu, c’est le végétarien qui domine. Au fil des années, le menu s’est étoffé et les recettes se sont améliorées : des soupes, des pâtes, des quiches, des salades, des gratins, des plats sans gluten, sans lactose, etc. Alors qu’auparavant, c’était les fondateurs eux-mêmes qui faisaient appel à leurs talents culinaires, aujourd’hui, l’Altérez-vous a son propre chef en cuisine.
Consommer responsable
Le fonctionnement de ce café-restaurant citoyen repose sur trois grands principes. Le premier, c’est la consommation responsable.
Pour l’approvisionnement, la filière courte est privilégiée, avec des produits bio locaux, de saison et/ou équitables. Le chocolat, par exemple, est acheté à une petite chocolatière locale qui travaille avec des produits issus du commerce équitable. La vaisselle est fournie par un producteur de céramique palestinien. « On veille aussi à limiter au maximum le gaspillage alimentaire. Et on ne négocie pas les prix des fournisseurs, car derrière les prix, il y a un travail qu’on respecte », souligne la co-fondatrice. A table, l’eau plate est gratuite, comme en France. Et tout ce qui peut l’être est respectueux de l’environnement : l’énergie, les produits d’entretien, etc.
Le deuxième principe est celui de la sensibilisation. Le café sert de point de vente à quelques produits solidaires, comme les bougies Amnesty ou des calendriers vendus au profit d’un dispensaire au Mali. Des expos, des débats et des conférences y sont organisés une fois par mois. « Au début, nous étions un peu trop enthousiastes et nous avons organisé jusqu’à huit conférences par mois. On s’est rendu compte qu’à la fin, ça rebutait les clients potentiels », se souvient Sorina. L’équipe a donc changé son fusil d’épaule en organisant moins d’événements de sensibilisation, mais mieux. Pour la première fois, l’Altérez-Vous a monté une séance en dehors de ses murs, dans un auditoire de l’université. Avec succès : 120 personnes ont assisté à cette conférence-débat sur les gaz de schiste et leur impact sur l’environnement. Pour le prochain débat, sur le TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), l’équipe espère attirer 400 personnes.
Tables de conversation et ateliers tricots
Enfin, le troisième principe, et non des moindres, est la convivialité, condition sine qua non pour faire connaître le café et fidéliser sa clientèle. Toute une série d’événements sont organisés pour attirer des publics différents. Le soir, ce sont des concerts, du café-théâtre, des soirées contes, des apéros, des tables de conversation en langues étrangères (néerlandais, espagnol, allemand)… L’après-midi, place aux ateliers tricots, d’écriture…
Après cinq années d’existence, le café a besoin d’un petit coup de rénovation et de quelques travaux : repeindre les murs, changer le bar de place, placer du double vitrage, aménager une entrée pour personnes à mobilité réduite, installer une aération et un écran de projection. Au début de l’année 2015, le papillon d’Altérez-Vous se métamorphose, pour mieux renaître.
Dès la réouverture, en mars 2015, un brunch végétarien avec film et débat sera proposé une fois par mois le dimanche, une première expérience ayant été tentée avec succès : 38 personnes (le maximum) ont pu assister à la projection du documentaire « Love meat tender » (sur la production de viande), suivie d’un débat avec le réalisateur et quelques spécialistes.
Des projets, l’équipe dynamique d’Altérez-Vous n’en manque pas. Par exemple la création d’un réseau de cafés-citoyens. « Beaucoup de personnes intéressées de monter un café viennent nous voir, nous demander des conseils. Ce serait bien de monter un réseau, avec des aides à la création, mais pas sur le système de la franchise », explique Sorina.