Le café é(x)quitable Java

Grande entreprise de services alimentaires et mentalité purement mercantile sont indissociables, pourrait-on croire… Et pourtant, Java sait comme nul autre conjuguer entrepreneuriat et souci de redistribution équitable des richesses de la planète. L’entreprise familiale commercialise du café Fairtrade, torréfié dans son centre de Rotselaar. 

Représentant la troisième génération de l’entreprise familiale, Wim Claes est, selon ses propres dires, un mordu de café et d’entrepreneuriat. Fort de ses dizaines d’années de service, il se rappelle la création par Jos D’Hooghe, à la fin des années 80, de la branche belge de Max Havelaar, tel que Fairtrade Belgium s’appelait à l’époque. Il a tout de suite voulu acheter des grains équitables, mais ne trouvait alors pas encore la qualité désirée. Après deux ans de recherche, Java est devenue un des pionniers belges du café Fairtrade. Environ 20 % de son café porte aujourd’hui ce label. En tant que grossiste en services alimentaires et fournisseur du gouvernement flamand, de la Commission européenne et  de grandes entreprises et restaurants de renom, Java s’investit en outre dans la promotion d’autres produits équitables tels que le vin et le chocolat.

Lors de sa fondation, en 1925, Java vendait des produits « coloniaux » tels que des épices. Ce n’est qu’au bout de dix ans que l’entreprise s’est lancée dans le café. Les meilleurs grains provenaient à l’époque d’Indonésie, où les Néerlandais avaient implanté les caféiers avec succès. Ce pays se caractérisait en effet par une température idéale et constante ainsi que de l’eau en quantité et une main-d’œuvre abondante. Mais, avec l’avènement de la Seconde Guerre mondiale, tant les bateaux transporteurs de café que les acheteurs ont disparu. Et, sous l’occupation japonaise, les rizières ont peu à peu supplanté les champs de café. Dans l’après-guerre, les Brésiliens se sont mis à cultiver le café pour devenir, en l’espace de 15 ans, les plus gros producteurs au monde. Au début des années 90, le Fonds monétaire international a prêté son soutien au Vietnam pour remplacer les rizières par des plantations de café, un kilo de café rapportant en effet plus qu’un kilo de riz. Aujourd’hui, le Vietnam est le deuxième producteur mondial. « Notre monde est en constante évolution et nous nous adaptons sans cesse », déclare Wim, « parfois, il suffit d’un petit coup de pouce au bon moment. »

Pour Wim, Fairtrade Belgium est un de ces coups de pouce importants pour les agriculteurs des pays en développement. « Une fois les graines de café plantées, il faut patienter trois à quatre ans avant que le caféier ne produise des baies (appelées cerises). Les cultivateurs doivent entretemps laisser leurs champs en friche ; en d’autres termes,  ils ne touchent aucun revenu pendant ces années. De là le grand intérêt du système Fairtrade, qui prévoit le versement d’une avance aux coopératives. Il n’était pas évident de le mettre en œuvre, et même impossible sans l’appui de banques comme Triodos. Car l’on ne peut pas créer de coopérative en tant que torréfacteur basé en Belgique, il faut se rendre sur place ! »

Le café Fairtrade coûte toujours un peu plus cher. « Mais c’est un prix équitable », soutient Kathleen, la fille de Wim. « Fairtrade Belgium garantit un prix minimum aux caféiculteurs, qui ne doivent donc pas craindre de recevoir un prix moindre lorsque la récolte est bonne (et l’offre par conséquent supérieure à la demande) ». « C’est aussi ce que souhaitent les producteurs de lait et les éleveurs de porcs chez nous », ajoute Wim. « Les prix du marché ne leur permettent pas de réaliser des bénéfices, bien au contraire, et cela ne peut continuer ainsi. Malheureusement, de notre côté de la planète aussi, la solidarité est plutôt une denrée rare. »

Java a opté pour le label Fairtrade et ses doubles contrôles, qui visent tant les coopératives que les importateurs. « La fiabilité du système est ainsi garantie : celui qui triche est exclu. Nous avons par exemple, pendant des années, acheté du café à une coopérative congolaise gérée par un Belge. Au bout de quelques années, un directeur local a pris le relais et déménagé son bureau dans la capitale. Cette gestion à grande distance s’étant soldée, trois ans plus tard, par un laisser-aller total, le label Fairtrade a décidé de mettre un terme à la collaboration. Pour moi, c’est là le fondement même du système : faire en sorte que les bénéfices reviennent à ceux à qui ils sont destinés. Fairtrade International est aussi la seule organisation à garantir un prix minimum. Aux Pays-Bas, UTZ (1), par exemple, offre aux caféiculteurs un prix légèrement supérieur au prix du marché, mais quand ce dernier est au plus bas, même ce petit supplément ne suffit pas à assurer leur survie. Ici, nous avons toujours un filet de sécurité quand les choses vont mal ; là-bas, c’est la famine assurée. Il est donc capital que la coopérative veille à utiliser correctement ses fonds et qu’un conseil détermine, de façon concertée, la part qui reviendra aux cultivateurs et celle qui sera investie dans des projets bénéficiant à la communauté tout entière. D’autre part, il faut aussi financer tant la formation professionnelle à la caféiculture que l’enseignement général, de sorte à endiguer la migration des jeunes vers les villes, mus par le vain espoir d’y trouver une vie meilleure. »

Aux yeux de Wim, le choix de l’équitable coule de source. « Cela est dû, je crois, aux valeurs qui nous sont inculquées par notre éducation et à notre conviction que les richesses de notre planète doivent être redistribuées entre le Nord et le Sud par le biais d’une rémunération plus équitable des producteurs. Alors que, là-bas, les gens sont contents quand ils ont de quoi manger, ici, un enfant de neuf ans possède déjà un smartphone. Mon fils Pieter a récemment visité SOS Kinderdorpen à Brazzaville et il en est revenu tout chamboulé. Ce n’est que lorsqu’on entend toutes ces histoires, que l’on se rend compte combien nous avons de la chance ici. »

Wim s’est-il déjà rendu dans les plantations ? « Dans certaines, oui, nous le faisons dès que nous en avons la possibilité. Tous les deux ans, l’Union royale des torréfacteurs organise un voyage. Nous avons ainsi rendu visite à Fedecocagua au Guatemala. Cette coopérative collecte les grains de café, les lave, les sèche, les trie selon leur grosseur puis les lave à nouveau avant de les ensacher. Les sacs sont ensuite chargés dans un camion et transportés jusqu’au port à quelques centaines de kilomètres de là. Mais les camionneurs se sont déjà fait attaquer à plusieurs reprises, avec à la clé la perte de leur camion et tout leur chargement. »

Ces problèmes viennent s’ajouter aux défis que les cultivateurs doivent déjà relever. Une raison de plus pour Java de les appuyer par le biais de Fairtrade Belgium. « Depuis les années 80, Fairtrade Belgium a réalisé un beau parcours, fait certes de hauts et de bas. À ses débuts, il n’était pas simple de dénicher le café parfait et de l’acheminer jusqu’ici au bon moment. Aujourd’hui, l’approvisionnement est relativement constant et cela se passe plutôt bien du point de vue du marketing : la notoriété a progressé et la gamme s’est considérablement étoffée. » Pourtant, il y a encore de la marge pour améliorer la collaboration, selon Wim : « À côté de l’ASBL Fairtrade Belgium, il y a aussi une SCRL, le Conseil d’administration et le fonctionnement journalier. Les torréfacteurs, de leur côté, demandent depuis des années qu’une personne de leur Union puisse siéger au Conseil – vu que plus de 30 d’entre eux vendent du café Fairtrade – afin de prendre part aux décisions prises au sommet et d’avoir une ligne de communication directe avec les torréfacteurs, mais Fairtrade Belgium élude la question. Nous pourrions pourtant mettre en place des actions commerciales communes, lors des Journées Découverte Entreprises, par exemple. »

Wim estime que seule une infime partie des consommateurs est disposée à opter pour l’équitable. Ce qui n’empêche pas son entreprise de proposer le plus de produits équitables possible.
Ses nouvelles capsules à expresso, par exemple, ne contiennent que du café Fairtrade, ceux qui peuvent se permettre ce genre de capsules peuvent aussi débourser un peu plus pour du café équitable. Il en va autrement pour les entreprises. « Certains de leurs acheteurs sont des believers, mais, malheureusement, lorsqu’elles engagent un nouvel acheteur ou qu’elles cherchent à faire des économies, elles repassent souvent au café non équitable. Seul le prix compte alors encore, et plus leurs convictions. Il faut vraiment avoir la volonté de s’y investir. » Pour Java, ce ne sont pas que des paroles en l’air ; au sein de l’entreprise, durabilité est en effet un maître mot. Tout le café consommé sur le lieu de travail est Fairtrade. Les 320 membres du personnel contribuent ainsi aux valeurs auxquelles ils adhèrent eux-mêmes. Le principe de durabilité s’applique aussi à la production et au conditionnement : le nouveau centre de torréfaction peut ainsi se targuer d’une faible consommation d’eau et d’électricité. Java propose par ailleurs, depuis peu, un café neutre pour le climat. Un pas de plus vers un monde idéal ! 

Site de Java

(1) UTZ Certified est un label durable, pas un label équitable. 
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