Le commerce équitable prend ses quartiers dans les communes

Le jour où Garstang s’est autoproclamée première Fairtrade Town, en 2001, personne ne se doutait de l’ampleur qu’allait prendre ce modèle de campagne locale. Aujourd’hui, on compte1.832 « Communes du commerce équitable » réparties dans 27 pays. En Flandre, à Bruxelles et en Wallonie, la campagne bat également son plein.

De Garstang au Liban

Après avoir mené campagne pendant près de dix ans, le groupe local Oxfam de la petite ville de Garstang, dans le nord de l’Angleterre, décide de passer à la vitesse supérieure. Il invite alors les principales personnalités de la commune à un repas où sont proposés des produits équitables et locaux. Le souper est l’occasion de demander aux dignitaires de signer une déclaration où ils s’engagent à faire dorénavant, autant que possible, le choix de ces produits. La grande majorité accepte et Garstang s’autoproclame première Fairtrade Town (ville du commerce équitable). Nous sommes en avril 2001.

L’initiative reçoit un accueil très favorable et les organisations équitables du pays sont immédiatement séduites par ce nouveau modèle de campagne. Cinq objectifs concrets sont formulés et, cinq ans plus tard, 209 communes anglaises peuvent se targuer d’avoir décroché le titre.

Pour couronner le tout, en 2008, le pays de Galles s’autoproclame première Fairtrade Nation.

Le secrétariat international de la campagne dénombre actuellement 1.832 Communes du commerce équitable, réparties dans 27 pays, dont, avec une bonne longueur d’avance, la Grande-Bretagne (619) et l’Allemagne (422). La Belgique complète le podium avec une belle troisième place (191). En dehors des principaux pays d’Europe occidentale, figurent aussi au palmarès : la Tchéquie, la Pologne, l’Estonie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et le Canada. Deux communes au Japon, au Ghana et au Brésil (New Koforidua, entre autres, commune jumelée avec Garstang) ont également obtenu le titre, de même qu’une commune au Costa Rica ainsi qu’au Liban. Début juillet 2015, à l’occasion de la dixième conférence internationale organisée par le mouvement équitable du Liban, huit autres communes libanaises recevaient le titre.

191 communes en Belgique

En 2004, la Flandre monte aussi dans le train de la campagne, à l’initiative de Fairtrade Belgium (Max Havelaar à l’époque), Vredeseilanden (une ONG flamande), et Oxfam-Wereldwinkels, rejoints en 2007 par 11.11.11, la coupole des ONG.

Au moyen des slogans « Ik ben verkocht », puis « Ik meen het », les communes, mais aussi les écoles, les entreprises, les maisons de jeunes, les rues, les kots étudiants, les agriculteurs, les cafés et restaurants, … font leur « coming out équitable ».

Quelques années plus tard, en 2007, Oxfam-Magasins du monde, Fairtrade Belgium et Miel Maya Honing lancent étalement la campagne en Belgique francophone. L’approche est similaire : pour décrocher le titre de Commune du commerce équitable, les municipalités doivent répondre à six critères, ce qui prend en moyenne deux ans. La remise officielle du titre est en général un événement festif lors duquel le comité de pilotage local reçoit un panneau qu’il peut placer le long d’une route d’accès à la commune.

La Flandre compte aujourd’hui 171 Communes équitables et 75 en voie de reconnaissance. En Belgique francophone, elles sont 21 à avoir reçu le titre, 75 autres devraient les rejoindre d’ici 2020.

Six critères

À l’échelon international, la campagne a élaboré cinq critères. Sous l’impulsion de Vredeseilanden, la Belgique en a ajouté un sixième afin d’établir un lien explicite entre les produits équitables du Sud et la production locale « équitable » dans notre pays.

Les six critères à remplir sont les suivants :

  1. Autorité communale
    – Le collège et le conseil communal votent une résolution en faveur du commerce équitable.
    – Ils s’engagent en outre à consommer du café et au moins un autre produit équitable lors des réunions et des réceptions.
    – Ils publient régulièrement des communications à ce propos à l’attention de leur personnel et des habitants de leur commune.
    Exemples d’actions : un brunch équitable pour le personnel de la commune ; un pack d’accueil contenant des produits équitables pour tous les nouveaux habitants.

  2. Commerces et Horeca
    – Les commerces et établissements Horeca proposent au moins deux produits issus du commerce équitable auxquels ils assurent une bonne visibilité.
    – Le nombre d’enseignes concernées est proportionnel au nombre d’habitants de la commune.
    Exemples d’actions : un plan de la ville équitable, informant sur les hôtels, chambres d’hôtes, restaurants et cafés proposant des produits équitables ; une praline régionale à base d’ingrédients équitables…
  3. Entreprises, organisations et écoles
    – Des entreprises, des organisations et des écoles consomment des produits équitables et communiquent à ce sujet.
    – Des écoles mettent en place des activités éducatives.
    Exemples d’actions : La participation d’entreprises à Fairtrade@work (une campagne sur le commerce équitable sur le lieu de travail) ; des tenues de sport équitables à l’école.

  4. Médias
    Les médias locaux et régionaux couvrent la campagne. Ce qui permet de sensibiliser la population et de valoriser les écoles, les administrations communales, ainsi que les commerces participants.

  5. Comité de pilotage
    Un comité de pilotage local est mis en place et prend les initiatives nécessaires pour décrocher le titre. Ce comité doit par la suite aussi assurer la continuité de la campagne.

  6. Produits agricoles locaux et durables
    – La commune soutient une nouvelle initiative en faveur de la production et de la consommation de produits agricoles locaux et durables.
    – Elle communique aussi clairement sur cette initiative.
    Exemples d’actions : un marché fermier avec animation sur la durabilité ; une balade à vélo faisant le tour des producteurs locaux.

    Ce sixième critère est spécifique à la campagne belge, même s’il fut aussi utiliser par les initiateurs de la campagne à Garstang. Il reflète la prise de conscience croissante que les agriculteurs du Nord et du Sud rencontrent les mêmes difficultés, que les producteurs occidentaux ont eux aussi droit à un salaire décent. Pour info : les Pays-Bas ont également introduit un sixième critère, à savoir la promotion de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).

Provinces équitables

La campagne est aussi menée au niveau provincial, tant en Wallonie qu’en Flandre. Le critère n° 2 (commerces et Horeca) a été remplacé par un autre stipulant que 65 % des communes de la province participent à la campagne et 70 % d’entre elles ont obtenu le titre.

« Les provinces représentent une plus-value importante », explique Lothar Boeykens, le coordinateur de la campagne en Flandre. « Outre un enthousiasme manifeste, elles disposent aussi d’instruments permettant de soutenir les communes engagées. » À l’heure actuelle, quatre provinces de Flandre détiennent le titre de province équitable : la Flandre orientale, la Flandre occidentale, Anvers et le Brabant flamand.

« En Wallonie aussi, les provinces s’engagent », confirme Sophie Duponcheel, la coordinatrice de la campagne en Wallonie et à Bruxelles. « Dans le Luxembourg, la plateforme provinciale insuffle un grand dynamisme et bon nombre de communes sont sur la bonne voie pour décrocher le titre. »

Une campagne qui demande du temps” – Arlon

« Il y a deux ans, nous nous sommes lancés dans l’aventure avec un petit groupe de bénévoles du Magasin du monde local d’Arlon. La commune achetait déjà des produits équitables, ce premier critère fut donc rapidement rempli, avec l’approbation à l’unanimité de la résolution par le conseil communal. Ensuite a commencé un véritable parcours du combattant pour convaincre les commerces, les restaurants et les associations. Bon nombre d’entre eux ne connaissaient pas encore le commerce équitable. Nous avons d’abord dû prendre le temps de les informer. Il nous a surtout fallu lutter contre le préjugé – profondément enraciné – que les produits équitables sont forcément plus chers. Tout cela requiert beaucoup de temps et d’énergie de la part d’un petit groupe de bénévoles. Mais, une fois que la conversation est engagée, les réactions positives ne manquent pas, et c’est cela qui vous permet de tenir le coup. »

« Pour ce qui est du sixième critère, nous avions la chance d’avoir déjà à Arlon un marché bio hebdomadaire rassemblant de nombreux producteurs locaux. Nous leur avons tout naturellement demandé de soutenir la
campagne. Si cela ne posait aucun problème de principe, mais nous avons appris à veiller à ce que le projet reste une initiative citoyenne, car les commerçants redoutent toute récupération politique. »

Le 14 octobre, la commune d’Arlon reçoit le titre de «Commune du commerce équitable »

Jean-Pierre Monseur, comité de pilotage d’Arlon

Ca bouge” – Watermael-Boisfort

« Le 9 octobre 2016, ce sera la fête ! Nous célébrerons non seulement le 40e anniversaire du Magasin du monde local, mais aussi la remise officielle du titre de Commune du commerce équitable. La campagne s’est déroulée sur les chapeaux de roue. La commune comptait déjà beaucoup d’initiatives, il fallait donc surtout les regrouper. Le comité de pilotage se compose de membres de l’équipe du Magasin du monde-Oxfam, d’un groupe local de solidarité avec Haïti, d’un membre du centre culturel, d’une personne de la commune et de plusieurs membres d’une initiative de transition*. Cela facilite déjà pas mal les choses. »

« La commune achetait déjà des produits équitables, elle était relativement ouverte au projet. Il fut aussi aisé de répondre au sixième critère, grâce à l’implication de plusieurs producteurs locaux et au projet d’agriculture urbaine « La Ferme du Chant des Cailles ». Par contre, le tour du quartier nous a mis à rude épreuve : il nous a fallu convaincre, un à un, commerces, restaurants, écoles… »

« Nous voyons que ça bouge ! En effet , la commune communique davantage sur ses achats de boissons et de snacks équitables pour les réceptions et les réunions, et le personnel communal se rend plus fréquemment au Magasin du monde, situé à deux pas de là. Cela prouve combien il est important de bien informer les gens. Les écoles disposent maintenant de deux Jeunes-Magasins Oxfam (JM). Nous n’allons toutefois pas nous reposer sur nos lauriers. Il reste bien des personnes à convaincre. Mais nous espérons que la remise du titre insufflera une nouvelle dynamique à la campagne. »

* La Transition un processus mené par des citoyen(ne)s qui ont décidé d’agir pour que leur lieu de vie devienne plus résilient, plus soutenable et plus agréable à vivre.

Claude Mertens, comité de pilotage de Watermael-Boitsfort

Cinq étoiles

En Flandre, la campagne a été lancée il y a 12 ans, de nombreuses communes détiennent le titre depuis longtemps déjà. Chaque année, leur comité de pilotage doit certes présenter de nouvelles initiatives pour conserver le titre, mais les bases sont jetées. « Voilà pourquoi, en 2013, nous avons mis au point un nouveau concept », explique Lothar Boeykens. « Nous avons opté pour un modèle qui laisse place à la créativité des groupes locaux. Concrètement, les communes peuvent donner un élan supplémentaire à leur engagement en démontrant que le commerce équitable y est bien ancré et en obtenant jusqu’à cinq étoiles. Pour l’heure, 70 communes participent à la campagne des étoiles.»

Étoile 1. Ambassadeurs du commerce équitable
Trois « FairTrade Ambassadeurs » au moins soutiennent activement les actions et souscrivent pleinement au message de la campagne. Il peut s’agir de personnalités locales, mais aussi de personnes-relais disposant d’un vaste réseau au sein de la commune.

Étoile 2. Fans du commerce équitable
25 % des habitants de la commune sont des « FairTradeFans ». Cela signifie qu’ils savent ce qu’est le commerce équitable et qu’ils achètent ou consomment des produits équitables au moins quatre fois par an. Les fans peuvent s’enregistrer de différentes manières : lors d’une activité, en s’enregistrant en ligne ou par l’intermédiaire d’une enquête.
Mais ils peuvent aussi faire preuve de créativité : un bourgmestre a ainsi mis au défi tous les participants à une fête locale en promettant de monter sur le podium déguisé en banane équitable si 1.000 personnes se déclaraient fans.

Étoile 3. Communication sur le commerce équitable
Les communes peuvent obtenir une étoile supplémentaire si elles mettent au point une stratégie de communication mûrement réfléchie.

Étoile 4. Rue équitable
Au moins 30 maisons d’une même rue (ou 70 % des maisons pour les rues comptant moins de 30 habitations) affichent leur engagement. Cela signifie que leurs habitants sont « fans » et qu’ils sont disposés à apposer une affiche à leur fenêtre ou sur leur façade.
Exemples d’action créative : les habitants d’une commune ont été invités à prendre des selfies tout en tenant en main un produit équitable, le numéro de la maison bien visible ; la première rue soumettant 30 photos remporte, outre le titre de rue équitable, un petit déjeuner équitable pour tous ses habitants.

Étoile 5. Administration équitable
L’administration locale adopte une politique d’engagement permanent vis-à-vis du commerce équitable, par le biais de sa politique d’achats, par exemple, ou par l’octroi de subsides incitant les associations locales à acheter équitable. Il n’y a aucune limite à la créativité : ainsi, la police « équitable » d’une commune a récompensé les enfants, dont le vélo était parfaitement en état de marche, avec un jus de fruit équitable. Ailleurs, le CPAS a choisi plus de produits locaux et équitables pour ses repas livrés à domicile.

L’enthousiasme des ambassadeurs est contagieux” – Malines

« Malines est officiellement devenue une Commune du commerce équitable en 2007. L’initiative avait été prise par quelques bénévoles du magasin du monde, avec l’appui actif de l’échevin compétent pour la coopération au développement. Bon nombre d’actions mises en place sont devenues une tradition : chocolat équitable dans la hotte de Saint-Nicolas, petit déjeuner équitable pour le personnel de la ville, promotion de paniers de légumes, équipes alimentaires et producteurs locaux, etc. De plus, la ville a publié une brochure qui rassemble les adresses des magasins, restaurants et hôtels proposant des produits végétariens et équitables.»

« Il y a quelques années, le comité de pilotage tournait au ralenti. La campagne des étoiles est venue à point nommé pour lui donner un nouvel élan, d’autant plus que les défis sont très concrets. Pour notre première étoile, nous nous sommes mis à la recherche d’ambassadeurs. Cela n’a pas été une mince affaire. Les personnalités n’avaient en général guère le temps. Nous avons finalement choisi des personnes bénéficiant d’une visibilité locale importante et disposées à s’engager à 100 % : le gérant d’un café connu, notre ‘bellemadam’ – un personnage haut en couleur du folklore malinois, qui accompagne les touristes et annonce les activités importantes en ville -, un artiste du théâtre de rue ainsi qu’un détaillant pionnier du commerce équitable. Leur enthousiasme est particulièrement contagieux. »

« Nous sommes par ailleurs extrêmement fiers de notre deuxième étoile, celle de la rue équitable, la première en Belgique ! Engager la conversation avec les commerçants a été une expérience très agréable. Bon nombre d’entre eux connaissent le commerce équitable ou y ont été sensibilisés grâce à nos ambassadeurs. Les rencontres avec la presse après chaque étoile sont autant de moments forts et énergisants. Nous poursuivons notre engagement pour décrocher les autres étoiles. A l’occasion du festival multiculturel annuel Ottertrotter, nous avons ainsi commencé à enregistrer les fans du commerce équitable. »

Linda Van der Auwera, comité de pilotage de Malines

« Le conseil d’administration de la commune n’a pas uniquement pour tâche de sensibiliser la population, mais aussi de montrer l’exemple. En faisant le choix des produits équitables et en communiquant sur les raisons de ce choix, on souhaite encourager les consommateurs à analyser leur comportement d’achat d’une manière critique. Pour beaucoup de produits il existe des alternatives équitables d’égale, voire de meilleure qualité. Plus de gens, entreprises et organisations feront cette démarche, plus le commerce équitable deviendra une évidence. Pour nous la campagne Fairtradegemeenten est la manière idéale à travailler à cet objectif. »

Marina De Bie, Coordinatrice de la campagne

Conclusion

« Si en Wallonie la campagne a mis plus de temps à décoller, elle fait aujourd’hui preuve d’une belle dynamique. C’est un modèle doté d’un très grand potentiel de sensibilisation à la consommation durable. » Sophie Duponcheel, coordinatrice de la campagne en Wallonie et à Bruxelles

« En Flandre, 55 % des communes ont décroché le titre, ce qui, en termes de pourcentage, nous place en deuxième position, après l’Irlande. Un beau résultat pour nos 12 années de campagne, dont nous pouvons être fiers. Toutefois, nous réfléchissons déjà à une nouvelle approche, qui placera la barre encore plus haut, mais je ne peux rien en dire pour le moment. » Lothar Boeykens, coordinateur de la campagne flamande

Sources
Garstang: www.garstangfairtrade.org.uk
Campagne internationale : www.fairtradetowns.org
Campagne belge:
www.fairtradegemeenten.be (Flandres)
www.cdce.be (Wallonie et Bruxelles)
Crédits Photos : FairTradeGemeenten – Communes du Commerce Équitable
En-tête : Commune de Martelange
Photo 1 : Les pionniers de Garstang
Photo 2 : Le marché hebdomadaire à Arlon soutient la campagne
Photo 3 : Fête dans les rues de Watermael-Boisfort lors de la campagne
Photo 4 : Première rue étoilée de Malines
Photo 5 & 6 : Remise du titre de la ^remière rue éoilée Fair Trade de Malines
Photo 7 : Producteurs locaux s’impliquant dans la campagne

 

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