L’approche humaine dans le coaching du TDC

NECAAYO, ECAMOM, COAFAN… En règle générale, les noms des groupes de producteurs ivoiriens sont de longs acronymes offrant une seule certitude : le C signifie « coopérative ». Et le souhait de ces coopératives est de vendre un maximum de cacao produit par leurs membres, à des conditions aussi favorables que possible. Tout sauf évident.

Si elles ne manquent jamais d’enthousiasme, leurs aptitudes commerciales sont souvent lacunaires, ce qui a conduit le Trade for Development Centre (TDC), un programme d’Enabel (l’Agence belge de développement) à leur proposer un coaching en marketing. Huit coopératives ivoiriennes de cacao sont actuellement encadrées par des coaches du TDC. Une belle occasion de partager leurs expériences.

Un marché fermé

Capitale du cacao en Côte d’Ivoire, la ville de Méagui, au sud-ouest du pays, ne compte que 100.000 habitants, mais pas moins de 40 coopératives de cacao. Trois d’entre elles se sont portées candidates et ont été sélectionnées pour un coaching en marketing. « L’histoire du cacao en Côte d’Ivoire est totalement différente des autres filières sur lesquelles j’ai travaillé », nous confie Christine Englebert. « La raison majeure est que le marché est très réglementé et fermé. On parle ici d’un marché cadenassé. »

C’est l’État ivoirien qui tient les rênes. Pour chaque campagne de récolte, il détermine non seulement un prix minimum pour les agriculteurs, mais aussi ceux qui peuvent exporter leur production. La Côte d’Ivoire est de loin le premier producteur mondial, avec 40 % de la production. Les multinationales transformatrices de cacao y sont donc très actives pour s’assurer un approvisionnement suffisant, ce qui provoque un goulot d’étranglement. « Trouver de nouveaux clients est très difficile pour les coopératives, leur défi majeur consiste à garder la clientèle existante », résume Christine Englebert. « Ces coopératives pourraient se mettre en quête de plus petits chocolatiers, mais ceux-ci n’achètent pas de grandes quantités. Réfléchir avec eux à la commercialisation ne portait donc pas tellement sur la prospection de nouveaux clients, mais plutôt sur la consolidation des relations existantes et sur les moyens nécessaires pour y
parvenir. »

Dominique Derom tient un discours similaire. Elle assure le coaching de deux coopératives, la SCKA à Afféry, à quelque 150 km au nord d’Abidjan, et YEYASSO dans la partie occidentale reculée du pays. « La possibilité de changer de client est non seulement très limitée pour les coopératives, et leur pouvoir de négociation est extrêmement faible. Elles sont bien souvent particulièrement tributaires de leur(s) client(s) actuel(s), également pour ce qui est du financement de leurs activités. Ainsi, la SCKA collaborait précédemment avec un grand négociant, mais ce dernier a depuis été repris par un autre. Suite aux changements au niveau de la direction et des interlocuteurs, les contacts sont devenus très difficiles. Le destinataire final du cacao est en fait Nestlé, qui collabore avec différentes coopératives de la région. Quant au négociant, il se voit confier la mission d’acheter à ces coopératives une quantité de cacao déterminée. De bons contacts tant avec Nestlé que le négociant sont dès lors vitaux pour la SCKA. »

Fidélisation

Jean Cornet est le coach de COAFAN, une coopérative proche de la frontière avec le Ghana. « Lorsque vous interrogez les membres sur leurs ambitions à long terme, elles portent bien entendu sur des contacts directs avec des clients étrangers. Mais cela n’est pas réaliste à l’heure actuelle ; pour y parvenir, ils doivent encore adopter toute une série de mesures.
Notamment parce que la coopérative doit relever un autre défi : convaincre suffisamment de membres de vendre leur cacao via la coopérative. La frontière avec le Ghana est en effet toute proche, il suffit de franchir la rivière. En 2017, les prix étaient jusqu’à 20 % supérieurs au Ghana. Vu la chute des prix sur le marché mondial, cette différence s’avérait vitale pour leur survie. Beaucoup de membres de COAFAN ont donc vendu leur cacao en douce au Ghana.»

À Méagui aussi, la fidélité des membres est un problème. Sachant qu’il y a 40 coopératives dans la région, les agriculteurs ne se privent pas de passer de l’une à l’autre. « La recherche du positionnement marketing de la coopérative ne s’est pas focalisée exclusivement sur les clients externes, mais aussi sur ses propres membres », confirme Christine Englebert. « Les projets communautaires, comme l’installation de pompes hydrauliques, d’écoles, la réfection de routes…, mis en œuvre dans les villages où vivent les membres sont des éléments très importants ». NECAAYO, par exemple, organise une tournée en soirée proposant de la musique et du divertissement, le tout couplé à de l’information. »

Focus sur le positionnement

Le coaching en marketing se fait sur place, à la coopérative. Lors du premier module, le coach accompagne l’équipe dans l’élaboration d’une stratégie et d’un plan marketing. Ensemble, ils définissent une « to-do list » à réaliser entre les deux modules et le coach reste disponible par email ou téléphone. Le deuxième module leur permet de travailler concrètement à la mise en œuvre de ce plan. Ils peuvent aussi soumettre une proposition au TDC afin de bénéficier d’un maximum de 15.000 € destinés notamment au développement de matériel de présentation comme des brochures ou un site web.

« L’accent n’était donc pas mis sur la prospection, mais sur le positionnement », rappelle Christine Englebert. « Comment positionner notre coopérative sur le marché, y compris par rapport à d’autres organisations géographiquement proches ? Quelles valeurs défendre ? À titre d’exemple de résultat concret, citons le stand au salon SARA (salon de l’agriculture et des ressources animales), la grande foire agricole annuelle qui se tient dans la capitale Abidjan et où les coopératives des quatre coins du pays viennent se présenter, pour lequel nous avons développé une panoplie de matériel attrayant, comme des affiches et des dépliants. »

Et Jean Cornet d’acquiescer : « Lors du premier module, j’ai utilisé une méthodologie axée sur le « brand positioning », afin que les membres de COAFAN soient en mesure d’identifier clairement les avantages pour les agriculteurs de livrer leurs produits à leur coopérative. Cela a certes pris un peu de temps avant qu’ils ne s’y mettent, mais ils se sont ensuite investis à fond dans la discussion.

Comment pouvons-nous faire passer notre message de la façon la plus simple possible ? Quels canaux allons-nous utiliser pour nous faire connaître ? La radio locale ou des visites dans les villages ? Quelle est l’utilité de certifications telles que Fairtrade ou UTZ ? C’est de cette réflexion qu’a germé l’idée de déménager le siège de COAFAN de 15 km, en l’éloignant de la frontière, pour permettre de prospecter un nouveau groupe cible : les agriculteurs sans possibilité de transport pour aller vendre leur cacao au Ghana. Cela permet à la coopérative de ne pas être tributaire des différences de prix entre les deux pays. Le module 2 portait essentiellement sur la compréhension de la psychologie du client-acheteur. Comment pouvons-nous, en tant que coopérative, nous présenter comme un partenaire fiable et de quoi avons-nous besoin pour y parvenir ? Si nous nous sommes concentrés sur des choses basiques comme la qualité, les délais de livraison, etc., celles-ci sont néanmoins essentielles. »

« Les membres de la SCKA sont très motivés et maintiennent des contacts intensifs et agréables entre les modules », ajoute Dominique Derom. « En fait, tout tourne chez eux autour d’une question centrale : comment, en tant que petite coopérative, pouvons-nous apprendre à traiter avec un grand négociant en cacao ? Quel est le raisonnement adopté par ce genre de multinationale ? Comment devons-nous communiquer avec eux ? Quels sont les arguments à utiliser ? Comment mener au mieux une discussion et s’y préparer ? À travers des exercices et des jeux de rôles, je me suis efforcée de leur faire trouver eux-mêmes la réponse à toutes ces questions, afin qu’ils se sentent plus forts la prochaine fois. Cela a parfois trait à des choses très concrètes. Ils ont par exemple l’habitude que le président de la coopérative prenne la parole, alors que ce n’est pas toujours nécessairement la personne la plus qualifiée pour discuter du contenu. C’est là une pratique à laquelle j’ai proposé de mettre un terme. S’ils se rendent à trois à une discussion, il est préférable qu’ils fassent chacun valoir leurs points forts en prenant la parole. »

Certaines coopératives ont déjà suivi un troisième module. L’objectif est que cela devienne toujours plus concret. Durant la semaine de présence du coach sur place, les coopératives peuvent ainsi planifier des contacts avec des partenaires clés existants ou des clients potentiels, mais aussi avec des graphistes, webdesigners ou encore des consultants locaux. « Si ces discussions peuvent certes être préparées et menées ensemble, il est important que ce soient les coopératives elles-mêmes qui entretiennent les contacts et qui indiquent la direction à suivre », soulignent les trois coaches.

Impact

Ce genre de trajet a-t-il un impact ? « Il est encore un peu tôt pour parler de résultats concrets », répond Christine Englebert. « Les modules sont toujours en cours, mais je remarque tout de même un changement de mentalité et j’ai déjà entendu des réactions positives sur la manière dont les coopératives se sont présentées au salon SARA, aussi de la part des visiteurs étrangers. » Pour Jean Cornet, il n’y a pas que le déménagement de COAFAN ou les actions de recrutement de nouveaux membres qui ont envoyé un signal positif ; c’est surtout la manière dont cela s’est fait : « Dans leurs contacts avec les agriculteurs, les responsables des coopératives ne parlent ainsi plus de ‘notre histoire’ – où le ‘notre’ se réfère à COAFAN – mais bien de ‘votre histoire’ – où le ‘votre’ se réfère aux agriculteurs de COAFAN. Cela prouve qu’ils ont appris à se placer dans la perspective de leur groupe cible. »

Et Dominique Derom de citer l’exemple d’une deuxième coopérative qu’elle a encadrée, « YEYASSO, localisée dans une région particulièrement reculée dans l’ouest du pays, une région instable jusqu’il y a quelques années en raison de la guerre civile. Dans le passé région caféicole par excellence, la production de cacao y est devenue toujours plus intéressante suite notamment aux changements climatiques. Relativement grande, la coopérative YEYASSO compte deux gros clients, mais recherche de nouveaux acheteurs à qui vendre son surplus de cacao. Durant les sessions, nous nous sommes attelés à leur stratégie de vente. Nous l’avons également exercée et testée dans la pratique, jusqu’au stade de la discussion avec le négociant.

Par la suite, j’ai appris d’un de leurs clients qu’ils commencent à voir la différence à ce niveau. La manière dont les responsables de la coopérative s’étaient préparés à la discussion, dont ils écoutaient et interagissaient, tout cela s’était nettement professionnalisé. »

Approche humaine

« Mes meilleurs souvenirs de ce module, c’est l’ambiance générale qui y régnait », conclut Christine Englebert. « L’approche humaine est dès lors cruciale. Travailler dur et faire du brainstorming ensemble en journée et, le soir, partager un moment de détente et de rires au café. J’ai fait une petite course à pied avec le président d’ECAMOM afin de lui prouver que cette activité n’est pas réservée aux hommes. Je ne sais pas s’il m’a laissé gagner, mais en tout cas, j’ai pu ensuite conduire sa voiture. Et la présidente d’ECAM est une femme, ce qui est très exceptionnel dans cette région. Nous avons beaucoup parlé de la façon dont elle peututiliser cet atout. Après tout, il s’agit d’une forte femme qui foisonne d’idées. »

« Cela fait des années que je travaille pour l’industrie chocolatière, mais cela a été une expérience particulièrement enrichissante », se rappelle Dominique Derom. « Et dans le même temps, un brusque retour à la réalité. Vous vous retrouvez soudain confronté à des personnes qui, toute leur vie durant, se plient en quatre pour produire du cacao, alors qu’elles n’ont jamais vu, voire goûté, de chocolat. La première fois, j’avais seulement quelques tablettes de chocolat Fairtrade dans mes poches, mais la deuxième fois, j’ai décidé d’emporter dans mes valises des bonbons en chocolats afin de pouvoir offrir quelque chose à un maximum de personnes. Certains m’ont même demandé quelques chocolats pour leurs enfants. Vous vous retrouvez alors bien embêté. »

« Lorsque je prends l’avion le dimanche pour aller dispenser un nouveau module, je me réjouis, parce que je sais que je vais revoir des amis », conclut Jean Cornet. « Et pourtant, j’ai conscience que tout va si mal. Alors que là-bas, les agriculteurs vivent dans la précarité, les rayons de nos supermarchés regorgent de chocolat à bas prix. J’ai vu de mes propres yeux à quel point cela pourrait faire une différence pour eux si nous payions un peu plus cher notre chocolat. »

Comment devient-on coach en marketing?

Dominique Derom travaille depuis de nombreuses années déjà comme consultante en marketing, entre autres pour des entreprises dans l’industrie du chocolat. Elle n’avait visité l’Afrique que comme touriste. Lorsque quelqu’un lui a parlé du programme de coaching du TDC, elle a vu se réaliser son rêve de travailler sur ce continent.

Jean Cornet a travaillé comme marketeur chez Unilever et Alpro, dans différents pays. L’offre pour devenir coach en marketing lui a semblé une occasion idéale pour concrétiser son intérêt personnel pour le commerce et le développement durables.

Christine Englebert a travaillé comme marketeuse dans le monde de l’entreprise avant de s’orienter vers le commerce équitable. Quelques mois passés en Afrique l’ont convaincue d’entamer une carrière de consultante. Depuis, elle passe énormément de temps sur des pistes non asphaltées pour se rendre chez des producteurs vivant dans des zones reculées.

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