Le marché des fleurs s’est mondialisé depuis les années 1990, avec pour corollaire des conditions de travail souvent mauvaises dans les immenses fermes de fleurs.
En 2013, l’Initiative pour la durabilité de la floriculture (FSI) a été créée pour que 90 % des fleurs commercialisées au niveau international proviennent d’une culture durable. De plus en plus de jeunes producteurs font cependant un choix différent, s’engagent dans le mouvement Slow Flowers et optent pour des fleurs cultivées biologiquement en plein air et livrées à leur clientèle via des circuits courts.
Le marché des fleurs
Forts d’une part de marché de 50 %, les Pays-Bas restent de loin le plus grand producteur et exportateur de fleurs coupées. Qui plus est, une grande partie du commerce européen des fleurs s’effectue par le biais des marchés aux enchères des Pays-Bas, qui représentent un chiffre d’affaires de plusieurs milliards d’euros. Mais la concurrence n’est pas en reste et, depuis les années ‘90, elle vient principalement d’Afrique (pour le marché européen) et d’Amérique latine (pour le marché américain), avec d’importants nouveaux « pays des fleurs » comme le Kenya et la Colombie, suivis de l’Éthiopie et de l’Équateur.
Les pays proches de l’équateur possèdent de solides atouts pour la culture des fleurs coupées : douze heures d’ensoleillement par jour, une pluviosité suffisante et des températures idéales. Ajoutez à cela le faible coût de la main-d’œuvre et la possibilité de transporter rapidement les fleurs par avion jusqu’à leur clientèle européenne, et vous comprendrez aisément pourquoi il s’avère économiquement rentable de faire cueillir des fleurs dans une flower farm kényane, puis de les vendre le lendemain chez un fleuriste situé à 7.000 km de distance. Les roses sont désormais le deuxième produit d’exportation du Kenya, après le thé. Si les plantations de fleurs emploient des dizaines de milliers de jeunes femmes, plusieurs centaines de milliers de personnes dépendent aussi indirectement de ce secteur.
Travailler dans les fermes de fleurs
Des années durant, les conditions de travail dans les plantations de fleurs d’Afrique de l’Est se résumaient à un défilé de mauvaises nouvelles : contrats temporaires, bas salaires, longues journées de travail, exposition dangereuse aux pesticides, manque aigu de vêtements de protection, inexistence quasi totale de droits syndicaux et de nombreux signalements d’exploitation et d’abus sexuels.
HIVOS, une ONG néerlandaise qui suit de près les évolutions sur le terrain depuis de nombreuses années, perçoit aujourd’hui quelques lueurs d’espoir : le secteur est devenu si important pour le Kenya que le gouvernement a par exemple fixé un salaire minimum. Les ouvriers et ouvrières gagnent ainsi désormais 2 à 3 dollars par jour, soit presque le double de leurs collègues ougandais·es ou rwandais·es, et bénéficient en outre assez souvent d’allocations modestes pour les repas, les frais médicaux, les transports ou la garde des enfants. Bref, le secteur fait preuve de bonne volonté, non sans y avoir indubitablement été poussé par la demande européenne de plus de durabilité. Il n’empêche que les salaires restent bas, les conditions de vie précaires et les améliorations difficiles. À titre d’illustration : la coordinatrice locale de HIVOS s’est récemment entendu dire par un agent du gouvernement qu’un trop grand nombre de campagnes sur les droits des femmes inciterait les entreprises à se délocaliser en Éthiopie.
Floriculture Sustainability Initiative (FSI)
Que, malgré la concurrence féroce, les choses doivent changer, de nombreuses personnes de l’industrie l’ont bien compris depuis longtemps. Au tournant du siècle, l’association internationale des marchands de fleurs a pris l’initiative de lancer une norme mondiale comportant des critères sociaux et écologiques. Toutefois, le label Fair Flowers Fair Plants n’a jamais vraiment pris son envol et s’est éteint depuis.
En 2013, une nouvelle initiative a été lancée, l’Initiative pour une floriculture durable (FSI, pour Floriculture Sustainability Initiative), qui réunit les pionniers du secteur de la floriculture, mais implique aussi des ONG. Le projet s’articule autour de trois piliers.
Tout d’abord, un « panier FSI » a été constitué sur base de normes sociales et écologiques fiables et de labels de qualité du monde entier. L’intention n’a en effet jamais été de créer un nouveau label, mais bien de mettre au point un instrument rassemblant les différents labels, afin que cultivateurs et négociants s’y retrouvent. Ce panier en contient 15, des labels d’entreprise tels que BSCI et SA8000 aux Florverde colombien et Kenya Flower Council Silver Standard, en passant par les labels classiques de produits biologiques et équitables.
L’accent est ensuite mis sur la transparence. Les membres de FSI envoient des données numériques sur les volumes achetés, les fournisseurs ainsi que les pays d’origine à une base de données centrale, où elles sont mises en correspondance avec les standards des labels. Cette analyse de l’approvisionnement durable ou sustainable sourcing scan a pour objectif principal de donner aux responsables des achats un aperçu de la durabilité de leurs flux commerciaux et, partant, une meilleure base de discussion avec les producteur·rices.
Troisièmement, FSI partage les bonnes pratiques en matière d’utilisation de l’eau et des pesticides, de droits humains et de transports respectueux de l’environnement.
L’objectif était très ambitieux dès le départ : FSI veut que, fin 2020, 90 % des fleurs et des plantes en pot commercialisées au niveau international proviennent de cultures durables. Selon le directeur de FSI Jeroen Oudheusden, « l’utilisation des données et des technologies de l’information et de la communication permettra une bien plus grande transparence. En tant que cultivateur ou cultivatrice, vous pourrez mieux démontrer que vous travaillez de manière durable. Cela peut sembler évident, mais cela va vraiment faire toute la différence. Un renforcement de la transparence stimulera également la confiance dans les filières, ce qui peut vraiment accélérer les choses, car, ne nous y trompons pas, la durabilité « est là pour rester ».
Fleurs équitables
En 2001, les fleurs ont été le premier produit pour lequel Fairtrade International a étendu son modèle de certification des petites coopératives aux grandes plantations.
Il existe aujourd’hui 64 fermes de fleurs certifiées Fairtrade, principalement au Kenya, en Équateur, en Éthiopie et en Tanzanie. Quelque 60.000 ouvriers et ouvrières y travaillent dans des conditions équitables. Depuis 2017, cela signifie, outre des droits syndicaux, des conditions de travail sûres et saines et des services sociaux, un salaire minimum de 1,9 dollar par jour (le seuil de pauvreté défini par la Banque mondiale). Pour les ouvriers et ouvrières du Mont Meru, dans le nord de la Tanzanie, par exemple, cela s’est traduit par une hausse de salaire de pas moins de 30 % par jour. Entretemps, des concertations ont été entamées avec toutes les parties concernées afin d’évoluer à terme vers un « salaire minimum vital ». Ce dernier est calculé par région et correspond à ce dont une famille a besoin pour la nourriture, le logement, les vêtements, le transport et l’éducation, ainsi qu’une petite épargne pour les imprévus.
L’offre actuelle en fleurs équitables dépassant de loin la demande (certaines plantations certifiées ne parviennent par exemple à vendre que 10 % de leur chiffre d’affaires aux conditions Fairtrade), Fairtrade International a appliqué aux roses le modèle des « ingrédients issus du commerce équitable » (Fairtrade Sourced Ingredient). L’organisation autorise ainsi que, dans les bouquets, les roses certifiées Fairtrade soient mélangées à des fleurs conventionnelles, dans l’espoir que le chiffre d’affaires augmente et, partant, également les bénéfices pour les ouvriers et ouvrières. Les plantations certifiées Fairtrade sont en effet tenues d’organiser une concertation entre l’employeur et les travailleurs et travailleuses afin de décider de l’affectation de la prime Fairtrade (10 % en plus du prix final des fleurs Fairtrade). Les ouvriers et ouvrières du Mont Meru, par exemple, ont décidé d’utiliser la prime pour financer un puits, les frais de scolarité et une cantine scolaire.
Impact écologique
Du point de vue de la durabilité, les roses kényanes sont-elles préférables aux roses néerlandaises ? Le bureau d’études Treeze, qui s’est penché sur la question pour le compte de Migros, une chaîne suisse de magasins de détail, et de Fairtrade International, en est arrivé à la conclusion que les émissions de gaz à effet de serre générées par le transport aérien des roses du Kenya sont 4 à 6 fois inférieures à celles provoquées par le chauffage des serres néerlandaises. Les producteurs et productrices des Pays-Bas devraient donc se tourner de manière drastique vers les énergies renouvelables afin de rapprocher leur empreinte écologique énergétique de celle du Kenya.
Néanmoins, le tableau n’est pas encore complet. Deux éléments importants changent en effet radicalement la donne : la consommation d’eau et le recours aux pesticides. À cet égard, les entreprises néerlandaises, qui recyclent bien mieux l’eau, font figure de bon élève et leur exemple devrait inspirer l’Afrique de l’Est, où cette ressource est une denrée rare. Pour sa part, la floriculture kényane se concentre autour de l’énorme lac d’eau douce de Naivasha, dans le sud-ouest du pays, qui, en plus d’être une source d’eau vitale, abrite des hippopotames, des flamants roses et d’autres espèces animales. Mais, depuis l’avènement de la floriculture, la population y est passée de 6.000 à 240.000 habitants, le niveau d’eau du lac a baissé et la pollution a augmenté considérablement, en raison aussi de l’utilisation massive de pesticides chimiques, dont beaucoup sont d’ailleurs interdits dans notre pays. Les fleurs n’étant pas considérés comme denrée alimentaire, il n’existe malheureusement pas de normes européennes concernant les résidus de pesticides. À cet égard, les plantations certifiées Fairtrade obtiennent de meilleurs résultats que les exploitations conventionnelles, mais les cultivateur·rices néerlandais·es font mieux encore.
À l’occasion de la fête des mères 2019, l’organisation environnementale néerlandaise Milieu Centraal a élaboré un calendrier floral qui prend en compte l’impact environnemental des bouquets. Pour ce faire, elle s’est basée sur une étude comparant trois situations : la culture dans un pays africain, la culture dans une serre néerlandaise et la culture en pleine terre aux Pays-Bas. Ses conclusions rejoignent celles de l’étude de Treeze : les fleurs kényanes enregistrent de meilleurs résultats en ce qui concerne l’impact climatique et de moins bons résultats sur le plan de l’utilisation des terres, de la consommation d’eau et de l’écotoxicité. Toujours est-il que les fleurs de saison néerlandaises issues de la culture en plein air sont bien entendu nettement moins énergivores que les fleurs de serre ou celles importées par avion.
Slow flowers
Dans le sillage du mouvement Slow Food – qui a vu le jour en Italie, mais qui a entretemps une résonance mondiale – un mouvement Slow Flowers s’est également développé ces dernières années aux États-Unis. Les principes sont les mêmes : rétablir le lien entre les consommateur·rices/client·es et leurs aliments ou fleurs, opter pour des produits de saison locaux et cultivés de manière durable, et donner ainsi aux producteur·rices locaux·ales la possibilité de faire des choix éthiques et écologiques. Le livre Slow Flowers (2013) de la journaliste Debra Prinzing a constitué le fondement du mouvement, dont le manifeste est publié sur slowflowerssociety.com.
En Belgique également, de plus en plus de personnes font le même choix et passent à des cultures biologiques, en plein air et en pleine terre. Les fleurs sont fraîchement cueillies afin de pouvoir être livrées aux client·es le plus rapidement possible en circuit court. Cela signifie par conséquent que les roses et les tulipes ne seront pas disponibles toute l’année, mais qu’elles feront place à une gamme et une palette de couleurs suivant les saisons et les conditions météorologiques. Les cultivateur·rices et fleuristes Slow Flower disposent depuis peu de leur propre site, à savoir belgiumslowflowers.be.
« J’ai lancé Blommm le jour de la fête des mères », nous explique par exemple la Gantoise Paulien Verhaest. Je collabore avec 8 producteurs et productrices entre Bruges et Bruxelles qui viennent de se lancer et je les vois grandir, se développer et devenir rentables. Même si nous ne sommes qu’une petite entreprise à Gand, nous obtenons des résultats et faisons quelque part la différence. La saison commence au printemps, lorsque les premiers crocus pointent le bout de leur corolle, et se termine en automne avec la splendeur du dernier dahlia. En hiver, quand il n’y a presque pas de fleurs, nous travaillons avec des plantes à feuilles persistantes et des fleurs séchées. Nous payons nos floriculteurs et floricultrices jusqu’à six fois plus que les négociant·es en fleurs classiques, ce qui explique pourquoi nos bouquets sont plus chers. Leur aspect est également différent : ils n’ont pas tous la même longueur de tige et ne font pas un usage excessif de feuilles de palmier. Nos blommmekes sont une ode à l’imperfection. »