J’avais besoin de m’améliorer sur l’organisation de l'entreprise et le management. Je naviguais à vue.
Colette Yehouénou Tweet
Colette Yehouénou vit à Cotonou, la capitale économique du Bénin. Elle n’a que treize ans quand son père décède, ce qui l’oblige à stopper ses études pour s’occuper de ses trois frères : “À l’époque, j’aimais déjà cuisiner, mais je me suis tournée vers la haute couture. J’ai fait une formation et je me suis mise à mon propre compte. J’associais couture et mercerie. J’avais des clients qui se fournissaient chez moi et, un jour, l’un d’eux m’a expliqué qu’il suivait une formation en agroalimentaire. J’étais très intéressée, et je me suis inscrite à la deuxième promotion”.
D’une vingtaine d’ananas au début à une tonne par jour aujourd’hui
Ainsi commence l’histoire de l’entreprise Fako, la concrétisation d’un vieux rêve de Colette. Chaque jour durant toute la formation, quand elle rentre chez elle, elle teste les recettes apprises en cours : “On a commencé par les jus que je refaisais le soir à la maison. Cela me permettait de m’assurer que j’avais bien assimilé la matière. Je faisais goûter à la famille, aux voisins. Ils appréciaient, cela m’a donné l’énergie pour me lancer.” Jus d’ananas, de baobab, de gingembre, de tamarin, de corossol, de pastèque, de carotte, de betterave, de tomate, de mangue, ainsi que de la compote d’ananas sont les principaux produits phares que Colette développe avec une grande attention accordée à la qualité, ce qui la distingue de ses concurrents béninois mais aussi chinois.
Et, grâce à cette réputation, elle grandit vite avec Fako : “J’ai commencé par une vingtaine d’ananas pressés par jour. Aujourd’hui, je suis à une tonne !” La réputation des jus Fako dépasse à présent les frontières du Bénin : “J’exporte dans les pays de la sous-région : le Burkina Faso, le Sénégal, la Mauritanie, le Niger et le Togo. Je participe à des salons, je fais des expositions et des séances de dégustation. Quand on fait de la qualité au Bénin, les gens le reconnaissent. J’ai reçu le prix de l’entrepreneur féminin en octobre dernier au cours d’une foire agricole ; et un autre prix en décembre, qui portait sur les technologies de fabrication de produits agricoles”, se félicite Colette.
Un coaching pour faire de la structure informelle une entreprise solide
“J’avais besoin de m’améliorer sur l’organisation de l’entreprise et le management. Je naviguais à vue”, se souvient-elle. C’est pour cela qu’elle répond à un appel lancé par le Trade Development Center (TDC) d’Enabel en 2017, via le programme PROFI (promotion des filières agricoles) d’Enabel Bénin. Le passage de Vincent De Grelle, coach chargé par le TDC d’accompagner Colette sur trois séances entre 2017 et 2019, permet à Fako de se structurer : “À cette période, Fako était déjà sortie de l’informel pour devenir une micro-entreprise avec pignon sur rue. Comme elle fabriquait ses jus de fruits dans des garages situés à côté de son domicile, Colette devait se poser la question de l’équilibre à trouver entre les aspects familiaux et professionnels de sa société”, explique Vincent. Pour assurer sa pérennité, Colette doit surtout mettre en place une vision sur le long terme.
Pour y parvenir, elle et son coach commencent par se pencher sur la gestion quotidienne de Fako : “Si Fako voulait grandir, plusieurs éléments étaient à construire”, commence Vincent. Une des premières choses à mettre en place, ce sont les bons de commandes : “Chez Fako, beaucoup de commandes se faisaient par téléphone, sans forcément en garder la trace. Colette, quand elle se rendait dans les salons, n’avait pas non plus de bons de commande pour indiquer la liste de ses produits à ses potentiels clients. Ceux-ci ne savaient pas ce qu’ils pouvaient commander et à quel prix”, avait remarqué le coach.
Fako met rapidement en place ces formulaires, désormais utilisés quotidiennement : “Les outils comptables de manière générale nous aident beaucoup”, confirme Colette, “C’est une vraie révolution par rapport à avant où j’avais quelques papiers éparpillés. Maintenant, je prends le temps de conserver, classer le courrier d’arrivée et de sortie et les factures.”
Déterminer sa rentabilité
Colette se familiarise aussi avec les notions de chiffre d’affaires, de charges fixe et variable que lui transmet Vincent : “Il y avait chez Colette une confusion entre l’argent qui circule, qui constitue la trésorerie, et le fruit de l’activité. Sur les charges, on s’est arrêté sur l’exemple de l’achat d’ananas frais. On a analysé que plus Fako allait produire de jus, plus les charges allaient être élevées. Et nous avons étudié comment calculer la marge, les charges variables liées à une activité, et les charges fixes comme les loyers ou les salaires”, continue Vincent, “On a passé le temps nécessaire pour visualiser ce que représente une marge, un chiffre d’affaires, des bénéfices”.
Ce travail lui paraît d’autant plus important que les subsides créent parfois de la confusion sur la rentabilité des micro-entreprises au Bénin : “Il y a pas mal d’aides et de subsides internationaux, notamment européens, disponibles au Bénin. C’est très bien, mais ça peut inciter à ne pas réfléchir autant que nécessaire à la rentabilité de son projet. Colette ne devait pas tomber dans ce travers.” Et elle n’y est pas tombée : “J’ai appris à calculer moi-même le taux de marge bénéficiaire de chaque produit, ce qui me permet aujourd’hui de déterminer quel produit est plus rentable que l’autre”, reprend-elle.
Est-ce qu’elle a arrêté une partie de sa production en fonction des jus plus ou moins rentables ? “Non, pas forcément, car je dois pouvoir fournir et satisfaire ma clientèle. Puis, c’est stratégique : les clients commencent par acheter un produit peu rentable, mais en venant jusqu’à nous, ils en découvrent d’autres et cela devient intéressant pour moi. Je fais donc de petites quantités de certaines choses pour fidéliser. La grosse différence, c’est que je sais aujourd’hui ce qui est rentable, et ce qui me rapporte moins, et je peux orienter les quantités.” En travaillant sur la diversification avec Vincent, Fako a aussi compris qu’il était important de garder différents produits en fonction des récoltes au fur et à mesure de l’année.
Formaliser ses relations
Une fois le travail sur la rentabilité des produits terminé, Vincent et Colette se concentrent sur les contrats à mettre en place avec les fournisseurs pour bénéficier de garanties sur les produits fournis en cas de désaccord. “Il y avait là un enjeu de traçabilité”, raconte Vincent, “Fako devait pouvoir identifier les lots et les numéroter dans un souci, à nouveau de mesure du rendement, mais aussi de qualité”. Car si les fruits ou légumes ne sont pas satisfaisants, il faut pouvoir se retourner vers son fournisseur. “La complexité au Bénin, c’est qu’une partie des fruits sont achetés aux ‘bonnes dames’, c’est-à-dire à des vendeuses de rue, qui ne fonctionnent pas avec des documents comptables. Fako a tout de même réussi à mettre de la rigueur dans l’enregistrement des données”, se réjouit Vincent.
Après la formalisation des relations avec les fournisseurs, d’autres réflexions sont menées. Sur la clientèle : “Je n’avais pas de liste récapitulative de mes clients. On l’a rédigée, en indiquant les achats respectifs de chacun”, ajoute l’entrepreneuse. Une réflexion aussi sur les intermédiaires entre cette clientèle et Fako : les commerciaux et revendeurs. “Cela faisait partie des couacs que connaissait Fako : un excès de confiance vis-à-vis de ses partenaires”, analyse Vincent. “Un des commerciaux avec lequel travaillait Colette à l’étranger a utilisé sa marque pour vendre des jus d’une moindre qualité et se mettre dans la poche une marge plus importante. Colette s’est rendue compte de l’arnaque quand un des clients l’a appelée pour demander des comptes sur un produit de mauvaise facture. Déléguer une partie de la commercialisation n’était pas le souci, mais il fallait là aussi pouvoir contractualiser et se professionnaliser.”
Tourner à plein régime
En même temps que Colette apprend les outils de base de la gestion d’entreprise, Fako doit continuer de fonctionner : “Il est arrivé à plusieurs reprises qu’une fois la journée de coaching terminée, Colette retourne directement sur la chaîne de production pour assurer les commandes. Les travailleurs peuvent ainsi faire de longues journées pour assurer le roulement”, se remémore Vincent. Grandir, cela signifie aussi travailler avec plus d’employés. Vincent accompagne Colette dans sa réflexion sur le management ou les salaires. En ce moment, par exemple, Fako tourne avec une vingtaine de travailleurs, un mix entre contrats saisonniers et à durée indéterminée. La saison de l’ananas se situe principalement entre décembre et mars. À d’autres périodes, le travail est moins conséquent.
D’autres objectifs se dessinent au fur et à mesure de la mission de Vincent : “Nous partons vraiment des besoins de Fako qui, forcément, évoluent avec le temps. La question de la gouvernance est ainsi apparue. On a commencé par analyser le fonctionnement de la structure : qui fait quoi et qui interagit avec qui.” À ce propos, Colette peut témoigner d’une nette évolution de ses compétences : “Sans vous mentir, l’arrivée de Vincent a contribué à beaucoup de changements dans l’entreprise. En interne, les relations entre les membres de l’équipe se sont améliorées. Mes collaborateurs sentent vraiment qu’ils ont chacun un rôle précis, je ne confie plus les choses à n’importe qui. Nous avons des recrutements selon la fonction qu’ils vont occuper. Nous avons des contrats et personnellement je crois que je suis plus efficace et compétente dans la gestion du personnel.”
Les défis pour l’avenir
Le gros défi qui demeure selon Vincent, c’est la capitalisation des compétences : “Comme souvent dans les entreprises, ce sont quelques personnes voire une seule qui font tourner la machine. Ici, tout se trouve dans les mains de Colette : l’intelligence dans la communication, l’attention à la qualité des produits, elle concentre tous ces atouts, mais c’est un risque. Elle doit transmettre plus pour assurer la pérennité de Fako”, pense Vincent.
En tout cas, avant d’envisager de passer le flambeau, Colette a un objectif : “Arriver à cinq tonnes de production journalière, car j’aimerais être une entreprise de renom dans toute la sous-région. Donc je dois encore pouvoir fournir plus largement.” Fako est en bonne voie d’atteindre son objectif. Il ne lui manque que le transfert de sa chaîne de production sur un terrain plus grand, dans un bâtiment indépendant de sa maison privée. “Fako est encore à l’étroit dans ses trente mètres carrés. Si Colette peut s’installer sur le terrain qu’elle a repéré, elle pourra améliorer sa ligne de production et atteindre ses nouveaux objectifs”, conclut Vincent. Une question technique qui devrait être réglée d’ici fin 2020.
Crédits Photos : Vincent de Grelle
En-tête : Fako produit une gamme de différents jus. Ici, du jus de Corossol
Photo 1 : Ananas découpés avant d’être broyés puis préssés
Photo 2 : Broyage des ananas avant pressage
Photo 3 : Colette Yehouenou, directrice de Fako, en train de capsuler des bouteilles de jus d’ananas
Photo 4 : Rinçage des bouteilles avant collage des étiquettes
Photo 5 : Colette Yehouenou devant un stock de bouteilles destinées au Sénégal
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