La déforestation importée, dommage collatéral trop longtemps oublié du commerce mondial

‘Passager clandestin’ d’une énorme quantité de matières premières et produits échangés quotidiennement sur les marchés mondiaux, la déforestation ne se limite pas au seul commerce du bois. Soja, huile de palme, cacao, café, autant de cultures très gourmandes en nouvelles terres agricoles et qui ont le plus souvent l’exportation en point de mire. Par leur inaction ou leur appât du gain, autorités publiques et entreprises privées ont longtemps regardé ailleurs, mais les choses commencent enfin à bouger…

Dans un rapport publié l’année dernière, WWF Belgique définit en substance la « déforestation importée » comme suit: « La production de produits de base agricoles et forestiers nécessite l’exploitation de terres et peut donc contribuer à la destruction d’écosystèmes naturels arborés, tels que forêts et savanes boisées. En important ces produits, les pays consommateurs importent également la déforestation à laquelle les produits en question ont pu contribuer dans les autres parties du monde. »

L’ONG environnementale estime que depuis 1990, plus de 129 millions d’hectares de forêts ont disparu, principalement dans les tropiques. Cela représente deux fois la taille de la France… Plus de quarante fois celle de la Belgique. Et cette déforestation a eu pour conséquence la mise en danger des moyens de subsistance de 1,6 milliard de personnes, sans parler de l’effondrement des populations d’animaux sauvages, des émissions accrues de gaz à effet de serre, etc.

« Au niveau mondial, on estime que l’agriculture est responsable de près de 80% de la déforestation dans les tropiques. Il s’agit du moteur principal », explique Béatrice Wedeux, Forest policy officer pour WWF Belgique, qui précise « qu’en chiffres absolus, c’est l’élevage qui est le secteur le plus gourmand en nouvelle surface, surtout en Amérique du Sud. »

Par ailleurs, les déforestations sont souvent perpétrées de manière illégale. Un rapport publié en 2015 par l’ONG FERN affirme que c’était par exemple le cas pour au moins 80% des exploitations de palmiers à huile et de bois en Indonésie. En Amazonie brésilienne, 90% de la déforestation liée à la culture du soja et à l’élevage de bétail, deux secteurs responsables de la quasi-entièreté de la déforestation dans ces régions, était illégale entre 2000 et 2009, selon des études citées par l’organisation. Et la liste pourrait s’allonger puisque des infractions ont été constatées dans la plupart des pays où de grandes surfaces de forêts tropicales sont déboisées.

Outre leurs impacts environnementaux, l’ONG déplore également le fait que ces pratiques illégales – qu’il s’agisse de projets entiers ou d’abus de droits obtenus légitimement – entraînent dans leur sillage de la corruption, de la violence et des violations des droits de l’homme.

L’UE, grand importateur de déforestation illégale

Depuis sa création en 1995, FERN suit particulièrement l’implication de l’Union européenne en matière de forêts. Dans son rapport, l’organisation précise encore que l’UE est l’un des plus grands importateurs de produits issus de la déforestation illégale. En 2012, ses membres auraient importé pour environ 6 milliards d’euros de soja, de bœuf, de cuir et d’huile de palme issus de cultures ou d’élevages pratiqués sur des terres déboisées illégalement dans des zones tropicales, ce qui représente près d’un quart du volume total des échanges mondiaux. Précisons que ces estimations ne tiennent pas compte de tous les produits de base importés par l’Union: cacao, bois ou cuir, entre autres, n’en font pas partie.

Entre 2000 et 2012, toutes les deux minutes, l’équivalent de la superficie d’un terrain de football a été déboisé, de manière illégale, pour exporter ces matières premières vers l’Union européenne.

Selon FERN, de précédentes études commandées par l’UE avaient déjà mis en lumière le fait qu’elle avait été le principal importateur mondial responsable de la « déforestation intrinsèque » liée aux produits agricoles et aux produits du bois entre 1990 et 2008, devant l’Amérique du Nord ou la Chine. Durant cette période, neuf millions d’hectares de forêts tropicales auraient été déboisés pour exporter des produits vers les pays de l’Union, soit une surface proche de celle du Portugal. Des estimations que FERN juge en dessous de la vérité.

Et si depuis la Chine a rejoint l’Union européenne en ce qui concerne l’impact global de ses importations, l’UE reste loin devant quand on rapporte les chiffres au nombre de ses habitants.

Les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et la France sont les principaux acheteurs des matières premières issues de la déforestation illégale. Ensemble, ces pays sont responsables de deux tiers de la valeur d’achat dans l’Union européenne et des trois quarts des zones forestières détruites.

« Le plus gros impact de déforestation causé par l’Europe concerne surtout les oléagineux: soja et huile de palme en représentent la moitié », précise Béatrice Wedeux, du WWF. « Pour le soja, c’est l’Amérique du Sud qui est principalement concernée: le Brésil, l’Argentine et de plus en plus le Paraguay. Quant à l’huile de palme, ce sont l’Indonésie et la Malaisie. »

La Belgique a besoin de trois fois sa superficie, pour sept produits

« On ne peut bien sûr pas comparer la Belgique à ces poids lourds européens en chiffres absolus. Néanmoins, la Belgique ressort souvent de bon nombre d’études comparatives comme l’un des pays qui en termes de consommation par habitant a l’un des plus gros impacts en Europe », poursuit-elle. « Nous sommes de gros importateurs de bois tropical, nous mangeons pas mal de viande, qui souvent a été nourrie au soja, nous consommons beaucoup de produits qui contiennent de l’huile de palme, etc. Le fait que notre pays dispose d’une économie très ouverte, que beaucoup de commodités agricoles sont importées et transformées sur notre territoire avant d’être réexportées, joue également un rôle. »

Dans son rapport de 2019, le WWF a tenté d’évaluer l’empreinte de la Belgique pour l’importation de sept produits de base liés au déboisement et à la dégradation des forêts. Ces produits agricoles nécessitent en effet de vastes surfaces à l’étranger pour leur production, et dans un certain nombre de pays, cela signifie de grands risques de déforestation.

Ainsi, pour produire les sept matières analysées par l’ONG, une surface d’environ 10,4 millions d’hectares est nécessaire annuellement, c’est-à-dire plus de trois fois la taille de la Belgique. Par ordre d’importance, on retrouve les importations de bois et de papier (4,6 millions ha de forêts et de plantations), le soja (2 millions ha), le cacao (1,6 million ha), le bœuf et le cuir (1,1 million ha), l’huile de palme (0,6 million ha), le café (0,3 million ha) et le caoutchouc naturel (0,2 million ha). Et cette empreinte a tendance à s’accroître. En 2016 et 2017, les deux dernières années prises en compte par le rapport du WWF, elle a augmenté de 30%, avec le bois et le papier, le cacao et le soja comme principaux moteurs.

Notons toutefois que deux tiers de ces matières premières importées sont par la suite réexportées à l’étranger sous forme brute ou transformée. Mais l’empreinte de la seule consommation belge dépasse tout de même la surface totale du pays.

Toujours selon le rapport du WWF, 40% de l’ensemble de ces surfaces se situerait dans des pays ayant un risque de déforestation élevé ou très élevé. Les produits importés les plus concernés sont le soja (1,3 million ha), le cacao (1 million ha), le bois et le papier (0,8 million ha) et l’huile de palme (0,5 million ha). Vu l’étendue de l’empreinte de la Belgique dans ces zones à risque, il est donc hautement probable que les importations belges soient liées à de la déforestation.

« Pas une priorité, jusqu’à présent »

Si le conditionnel continue à être de mise, c’est parce que le WWF n’est pas parvenu à déterminer les régions d’origine précises des importations belges, il est donc impossible de savoir exactement où s’exercent les impacts des activités commerciales de la Belgique.

« Le problème, c’est que l’on possède peu de données par rapport aux critères de durabilité des produits qui sont importés », explique Béatrice Wedeux. « C’est un trou que notre rapport veut mettre en avant. Par exemple, à l’heure actuelle, on est incapable de dire quelle proportion de l’huile de palme consommée en Belgique est issue d’une agriculture qui a causé de la déforestation. »

Néanmoins, les pays d’origine de ces matières premières sont globalement connus. Il s’agit du Brésil, de la Côte d’Ivoire, de l’Argentine ou encore de l’Indonésie. Dans ces régions, la destruction de forêts et de savanes naturelles au profit de l’agriculture ou de la coupe de bois est largement documentée et souvent associée à des faits de corruption, d’accaparement de terres, de non-respect des droits des peuples autochtones et de violation des droits des travailleurs, confirme l’ONG.

« Il y a actuellement peu d’informations disponibles pour le consommateur », regrette Béatrice Wedeux. « Certes, il existe des labels, qui peuvent être des indicateurs, mais il faut bien les connaître car tous ne se valent pas et ne sont pas liés aux mêmes qualités de critères par rapport à la déforestation, la biodiversité, etc. De manière générale, leurs données sont assez parcellaires et la crédibilité de la certification utilisée par l’industrie ne nous satisfait pas. » Ce qui fait dire à l’experte du WWF que « cela montre bien que les secteurs et les gouvernements n’ont pas fait de ces thématiques une priorité jusqu’à présent. »

Due diligence et droits de l’homme

Il existe en effet très peu de réglementations en matière de déforestation importée, que ce soit au niveau belge ou européen. « La seule en vigueur concerne l’importation de bois et de matériau contenant du bois, et celle-ci découle de l’Union européenne », explique Salima Kempenaer, attachée relations internationales au SPF Santé, spécialisée dans les dossiers liés à la biodiversité. « Ce qui existe pour le bois, c’est notamment le concept de due diligence, qui demande aux entreprises d’analyser elles-mêmes les risques liés à leurs activités: filières d’approvisionnement, identification des risques, mesures pour les minimiser, etc. »

« Pour l’instant, il n’existe que des initiatives non contraignantes concernant la responsabilité sociale et environnementale des entreprises », confirme Liesbeth Loddewykx, chargée de mission à la Coopération belge au développement (SPF Affaires étrangères). « Celles-ci ont conduit à une dynamique positive dans le respect des mesures de due diligence et favorisent le dialogue entre les différents acteurs concernés. Toutefois, ces initiatives volontaires ont également leurs limites: si elles ne bénéficient pas d’un soutien suffisant, elles ont peu de chances de créer des conditions équitables entre les entreprises qui imposent des mesures volontaires et celles qui ne le font pas. Le caractère volontaire, combiné à l’approche sectorielle et souvent nationale, fait que leur impact est généralement limité. »

Mais les choses commencent enfin à bouger pour la déforestation importée en générale. Et l’approche de la due diligence semble être justement l’une de celles choisies par l’Union européenne pour avancer sur le sujet. Fin avril, le commissaire européen à la Justice, Didier Reynders, a fait part de la volonté de la Commission de présenter au début de l’année prochaine un projet de loi visant à établir de nouvelles règles sur les obligations de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme et d’environnement dans les chaînes d’approvisionnement mondiales des entreprises européennes. Cette démarche s’inscrira dans le fameux Green Deal de l’UE, ainsi que dans sa stratégie ‘Biodiversité 2030’, présentée le 20 mai dernier.

Cette possible nouvelle législation, qui pourrait entrer en vigueur dans les prochaines années, permettrait d’identifier, prévenir, atténuer et rendre compte des violations des droits de l’homme et des dommages environnementaux liés aux activités des entreprises ou de leurs filiales, et ce tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Par conséquent, les entreprises seraient obligées d’effectuer des contrôles sur leurs filières et d’examiner les risques que leurs activités engendrent.

Le Parlement européen a également voté en début d’année une résolution en faveur d’une régulation via la due diligence pour mettre fin à la déforestation importée. Contrairement à l’annonce de la Commission, le PE vise lui explicitement la déforestation importée et fait de la diligence raisonnable son arme de prédilection dans ce combat.

« Jusqu’ici, nous, les ONG, avons beaucoup travaillé sur base d’initiatives volontaires, avec 2020 comme échéance », explique Béatrice Wedeux. « Des avancées ont ainsi pu être réalisées, mais nous estimons qu’elles sont encore trop limitées et que nous ne sommes pas parvenus à suffisamment transformer le marché et les secteurs. C’est pourquoi nous poussons depuis plusieurs années pour une législation. »

Par ailleurs, l’Union européenne ne semble pas vouloir se limiter à simplement poser un cadre légal. Elle envisage également la mise en place de mesures complémentaires non-réglementaires. « Il y a une volonté d’approche plus coopérative, de soutien financier, technique… afin d’accompagner les pays producteurs dans cette transition vers des modes de production qui ne sont pas issus de la déforestation », estime l’experte de WWF Belgique.

« Jusqu’à présent, on assistait surtout à des annonces, mais là on sent véritablement une volonté continuer dans cette voie », se réjouit-elle. « Nous sommes donc très positifs et satisfaits. Cela devrait permettre la mise en place d’un cadre commun à tous les pays de l’UE, à toutes les entreprises, et par conséquent insuffler une dynamique générale en Europe. »

« Les initiatives européennes sont prometteuses car elles ne se limitent pas à la déforestation importée. Elles abordent la problématique de manière plus large via la diligence raisonnable sur le plan social et environnemental », estime Liesbeth Loddewykx, de la Coopération belge au développement. « Les frontières nationales seraient franchies et des conditions équitables pourraient être créées à plus grande échelle. »

« Sur le long terme, une législation contraignante aura un impact positif sur les consommateurs et les entreprises, tant en Europe que dans les pays producteurs », poursuit-elle. « À court terme par contre, des mesures d’accompagnement devraient être envisagées afin de permettre le respect de la nouvelle législation. »

« Les entreprises qui courent le plus grand risque font les plus grands efforts »

Selon une étude publiée par l’exécutif européen en février dernier, seule une entreprise interrogée sur trois prend actuellement des mesures de due diligence. A contrario, environ 70% des entreprises européennes sont désormais favorables à des normes de diligence raisonnable obligatoires.

« En cette période d’incertitude et de turbulences économiques, une telle législation contribuerait à garantir des chaînes d’approvisionnement solides et durables et aiderait les entreprises à résoudre leurs problèmes environnementaux, sociaux et de gouvernance liés à la crise du Covid-19 », estime Rachel Owens, responsable du bureau UE pour Global Witness. « Elle garantirait également que ces réponses ne créent pas de risques supplémentaires pour les personnes, la planète et la société ».

« L’idée, pour le moment en tout cas, serait que ces futures réglementations s’appliquent aux entreprises de manière contraignante, et surtout non discriminante afin de créer des conditions de compétition équitables », note Salima Kempenaer, du SPF Santé. « Certaines entreprises sont très avancées sur le sujet de la déforestation et y travaillent beaucoup, d’autres beaucoup moins. Mais quel que soit le secteur, ce sont généralement les entreprises qui courent le plus grand risque de réputation qui fournissent les plus grands efforts, c’est-à-dire celles qui ont une image publique et des produits dans les étalages des magasins. Les acteurs intermédiaires sont souvent bien plus épargnés par la critique publique. »

De plus, « les entreprises qui investissent beaucoup dans ce domaine n’arrivent pas à mesurer des impacts significatifs à cause du reste du secteur qui ne suit pas », pointe encore également Salima Kempenaer.

Elle précise également qu’il ne faut pas sous-estimer le manque d’expertise ou de moyens au sein des entreprises: « Bon nombre d’entre elles ne savent souvent tout simplement pas par où commencer. »

« Il y a encore beaucoup de questionnement sur comment mettre en place des engagements en termes de déforestation », confirme Béatrice Wedeux. « Mais la loi devrait apporter des éléments de réponse en termes de traçabilité, de transparence, d’analyse de risque, et sur comment opérationnaliser tout cela. De tels systèmes, qui prennent en compte les impacts écologiques et sociaux de produits mis sur le marché européen, existent déjà dans d’autres secteurs, par exemple le bois ou les minerais de conflit. Nous pensons donc qu’ils sont tout à fait transposables à la problématique de la déforestation. »

Une « stratégie » belge en cours d’élaboration

L’approche choisie par la Commission, à savoir d’un projet à la portée plus large que la seule déforestation, rejoint quelque peu la réflexion qui est en cours pour le moment au niveau belge, explique par ailleurs Salima Kempenaer: « Il est impossible régler le problème de la déforestation sans parler de développement socio-économique dans les pays producteurs et en éludant tout un autre pan de la problématique qui recouvre le droit du travail, le travail des enfants et les droits humains de manière générale. On ne peut pas résoudre la déforestation importée isolément, c’est impossible. »

En 2017, la Belgique s’est dotée d’un Plan d’action national (PAN) Entreprises et Droits de l’Homme basé sur les « Principes directeurs » des Nations unies portant sur ces mêmes thématiques (voir encadrés). Il vise, entre autres, à contribuer aux efforts de la Belgique en vue de l’accomplissement de l’Agenda 2030 pour le Développement Durable, et en particulier à l’objectif 8 « Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous » et à l’objectif 12 « Établir des modes de consommation et de production durables ».

« Ce Plan consiste en une série d’actions qui visent à accompagner les entreprises afin qu’elles tiennent mieux compte des droits humains dans leurs activités », résume Salima Kempenaer. « Et lorsqu’on aborde la question des droits humains, on touche forcément à l’environnement. Mais il ne s’intéresse pas directement à la déforestation. »

L’attachée du SPF Santé affirme pourtant qu’il y a des leçons à tirer de ce Plan. « Les réflexions en cours au niveau belge pour mettre en place une stratégie sur la déforestation importée spécifiquement s’inscrivent dans le même groupe de travail que celui qui a produit ce PAN, enrichi par des experts liés aux sujets spécifiques à la problématique. Mais l’essentiel du groupe sera le même car les enjeux de traçabilité liés aux chaines d’approvisionnement sont identiques. »

« Un document est en cours d’élaboration et il comportera in fine une série de recommandations au gouvernement », détaille encore Salima Kempenaer. « À ce stade, tous les dispositifs réglementaires et non réglementaires sont envisagés, il pourrait donc y avoir un cadre contraignant. Des mesures de type due diligence, transposées au contexte belge, font également partie de la réflexion. En parallèle, cette ‘stratégie’ comportera un volet sur les partenariats volontaires qui pourraient être mis en place avec les acteurs qui souhaitent aller plus loin. » La note est attendue pour la fin de l’année, mais son adoption dépendra du prochain gouvernement.

Beyond Chocolate

En 2016, le secteur public, des organisations de la société civile et des entreprises belges ont par ailleurs signé la Charte belge ODD de Développement international. Son objectif est de jeter des ponts entre le développement international, le secteur privé et la société civile. Les signataires ont ainsi marqué leur volonté d’intégrer pleinement les Objectifs de développement durable (ODD), approuvés par les Nations unies, dans leur activité économique principale et de prendre une part active à des partenariats. Les ODD visent à éradiquer l’extrême pauvreté, préserver la planète et favoriser le développement humain d’ici l’horizon 2030.

« La Charte belge ODD a pour but de sensibiliser le secteur privé belge à l’ambitieux programme de  développement durable. C’est indispensable car les pouvoirs publics, les ONG et la société civile ne peuvent réaliser à eux seuls les Objectifs de développement durable. Nous avons besoin du secteur privé. Le fait qu’aujourd’hui plus de 50 entreprises signent déjà la Charte est un signal important », a déclaré à l’époque Alexander De Croo.

À ce jour, la principale réalisation de cette Charte est le partenariat « Beyond Chocolate ». Celui-ci rassemble la plupart des acteurs du secteur chocolatier belge en vue de lutter notamment contre le travail des enfants dans les plantations de cacao et le déboisement, rendre le chocolat belge durable d’ici 2025 et faire en sorte que, d’ici 2030, les producteurs de cacao perçoivent un revenu minimum vital.

Parmi les partenaires figurent notamment l’Association royale belge des Industries du chocolat, de la praline, du biscuit et de la confiserie, des grandes chaînes de supermarchés, des universités, le TDC d’Enabel (l’Agence belge de développement), des ONG, des investisseurs à impact social, des syndicats, des labels, et bien sûr des entreprises.

Avec un chiffre d’affaires annuel de près de 5 milliards d’euros, l’industrie chocolatière belge fait partie des poids lourds mondiaux. La Belgique est le deuxième pays exportateur mondial de chocolat, avec près de 600.000 tonnes par an, et le troisième importateur européen de fèves de cacao, avec plus de 300.000 tonnes annuellement. Pour se fournir, le secteur fait appel à environ 275.000 petits producteurs.

« Au niveau européen, la déforestation liée au cacao se fait à une autre échelle que celle engendrée par l’huile de palme ou le soja, mais au niveau belge, c’est un poids important », confirme Béatrice Wedeux. »

Beyond Food

En route pour devenir une belle réussite, « Beyond Chocolate » pourrait également montrer la voie à d’autres secteurs. « Pour l’avenir, l’idée serait de s’en inspirer, d’en tirer des leçons et d’appliquer une recette similaire à d’autres secteurs que l’on considère comme prioritaires », assure Salima Kempenaer. « Les produits de base les plus liés à la déforestation importée, on les connait: c’est l’huile de palme, le soja, le bœuf d’importation, le café, etc. La ‘stratégie’ en cours de rédaction au niveau belge reprend cette volonté sous la dénomination temporaire Beyond Food. Des discussions à ce sujet sont menées au sein du Groupe de Travail Responsabilité sociétale de la Commission interdépartementale pour le Développement Durable. Mais je le répète, il s’agit d’un travail en cours. »

Il semble donc que l’on arrive à un moment clé de la triste histoire de la déforestation. Des réglementations prennent forme tandis que des partenariats voient le jour et prouvent leur pertinence. « À titre personnel, je trouve que c’est là la meilleure combinaison possible: un cadre réglementaire, afin qu’il y ait des conditions de compétitions égales entre les entreprises, assorti de partenariats qui permettent à celles qui le souhaitent d’aller plus loin », confie Salima Kempenaer.

De quoi pouvoir enfin se montrer optimiste après des décennies de déforestations intensives ? « En Afrique de l’Ouest, où il y a eu énormément de déboisement, aggravé par le changement climatique, on constate que le manque de forêts a un impact fort sur le régime des pluies », rappelle Béatrice Wedeux. « Et dans le bassin amazonien, où règne pour l’instant un certain équilibre climatique, on s’approche des 20% de surface déboisée par rapport à la période préindustrielle. Or les scientifiques estiment que le tipping point en Amazonie, ce point où l’on aura tellement dégradé la forêt que cela provoquera un basculement dans un autre système, se situe entre 20 et 25%. On en est donc très proche, potentiellement d’ici quelques années, et son impact sur les rendements agricoles est incalculable. »

« Il est donc clairement trop tôt pour être optimiste, même si de plus en plus d’acteurs gouvernementaux et privés prennent leurs responsabilités par rapport au déboisement », note la Forest policy officer de WWF Belgique. « Mais j’espère que l’on entre dans une décennie d’actions concrètes pour stopper la déforestation et restaurer les forêts qui ont été dégradées », conclut-elle.

Encadrés

Déforestations et zoonoses

Si l’origine exacte du nouveau coronavirus, qui a déjà infecté plusieurs millions de personnes et provoqué la mort de plusieurs centaines de milliers en quelques mois, n’est pas encore connue avec certitude, tout porte à croire que le virus serait d’origine animale. En l’occurrence, il y a de fortes chances pour qu’il provienne de la chauve-souris, un réservoir connu des coronavirus.

À l’instar du SRAS, du MERS, d’Ebola ou encore du VIH, de plus en plus de virus semblent s’être transmis des populations animales vers l’espèce humaine ces dernières décennies. Et les scientifiques redoutent que les maladies ou infections qu’ils provoquent, les zoonoses, se multiplient encore davantage à l’avenir. Car le principal moteur de cette évolution est à rechercher dans la multiplication des contacts entre les humains et la faune sauvage.

Et l’une des raisons de cette hausse des contacts serait la déforestation. En pénétrant de plus en plus profondément dans des zones sauvages, l’homme exerce une pression croissante sur la faune et la flore, augmentant ainsi les chances que des infections inter-espèces se produisent. Si l’hypothèse ne fait pas encore l’unanimité dans la communauté scientifique, elle a toutefois été renforcée par une récente analyse publiée dans la revue spécialisée Frontiers in Medicine par des experts des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux États-Unis. Ceux-ci notent que plus les habitats naturels rétrécissent, plus les animaux sauvages se concentrent sur des territoires restreints ou bien se déplacent vers des zones habitées, favorisant l’apparition de zoonoses. ‘L’humanité doit changer la façon dont elle traite la nature, sans quoi des pandémies plus meurtrières encore que le Covid-19 auront lieu’, préviennent-ils.

Les Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et droits de l’Homme

Le 17 juin 2011, le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a adopté à l’unanimité les Principes directeurs sur les droits de l’Homme et les entreprises, considérés comme un évènement majeur pour la protection des droits de l’Homme et l’évolution du concept de responsabilité sociale des entreprises (RSE).

Ces « Principes directeurs » sont une liste de 31 principes qui explicitent la portée de la notion de « droits humains » et qui déterminent les rôles attendus des États et des entreprises. Ils s’organisent autour de trois piliers – protéger, respecter, remédier – et introduisent notamment la notion de responsabilité de l’entreprise quant à sa filière d’approvisionnement dans son ensemble, ainsi que le concept de « Human rights due diligence » (HRDD), la « vigilance raisonnable en matière de droits humains ».

Leurs principaux apports sont l’affirmation du rôle central de l’État dans la protection et la promotion des droits de l’Homme vis-à-vis des entreprises, la priorité donnée à l’approche par les risques ou encore la responsabilité étendue à l’ensemble de la chaîne de valeur.

Si les « Principes directeurs » constituent certainement la version la plus aboutie à ce jour d’instruments non-contraignants destinés à aider à protéger et faire respecter les droits humains, ils ne sont cependant pas exempts de tous reproches, en particulier le fait que leur portée demeure limitée en matière d’abus et de mécanismes de réparation transfrontaliers et, surtout, leur application se fait sur base volontaire.

Anthony Planus pour le TDC. 

En-tête : La déforestation dans l’État de Mato Grosso, centre-ouest du Brésil © AFP PHOTO / Mato Grosso State Communication Department / Mayke TOSCANO
Photo 1 : Champ de soja © Adriano Gambarini / WWF-Brazil
Photo 2 : Forêts detruitées pour faire de la place aux palmiers à huile en République du Congo © Indra van Gisbergen
Photo 3 : Déforestation importée © WWF-Belgique
Photo 4 : Importation de bois illégale © Flickr, CIFOR
Photo 5 : Un ouvrier de plantation ramasse des fruits de palmier à huile en Malaisie © Mohd Razz Rozzfaisal
Photo 6 : Objectifs de Développement Durable © ONU
Photo 7 : Cacaoculteur en Côte d’Ivoire © Fairtrade Belgium
 
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