Basée à Agboville, en Côte d’Ivoire, la société coopérative SCINPA, active principalement dans le cacao, a collaboré avec le Trade for Development Centre pour améliorer sa visibilité et ses outils de communication commerciale et institutionnelle. Un travail qui a rapidement porté ses fruits, même si la situation macroéconomique reste difficile dans le pays.
Nous voici à Anno, Côte d’Ivoire, à cent kilomètres au Nord d’Abidjan. C’est dans ce village de la sous-préfecture d’Agboville que vous trouverez les fondateurs de la SCINPA, Société Coopérative Ivoirienne de Négoce de Produits Agricoles, créée en 2003, d’abord comme centrale d’achat coopérative (CINPA). “J’étais là, à la création”, se rappelle Moussa Sawadogo, président du conseil d’administration (CA) : “À l’époque, nous étions 150 membres à vouloir s’allier au sein d’une coopérative agricole. Moi, je travaillais encore pour mon père qui me confiait son cacao à vendre. Nous l’exportions vers le Liban. C’était mal payé.”
Au début des années 2000, Moussa Sawadogo, son père et plus d’une centaine d’autres producteurs décident donc d’unir leurs forces pour améliorer les ventes : “La coopérative avait pour objectif de rassembler nos produits pour pouvoir être forts ensemble, augmenter les prix de vente du cacao et, ainsi, améliorer les conditions de vie des producteurs.”
Une coach qui se déplace
La coopérative a bien avancé vers cet objectif : aujourd’hui, elle travaille avec des partenaires internationaux dont le premier est Cargill et, beaucoup plus récemment, Olam. Elle dispose de deux certifications, UTZ (obtenue en 2010) et Fairtrade (en 2015) : “Ces labels nous ont permis de mener beaucoup de projets sociaux. Les productrices et producteurs peuvent à présent scolariser les enfants plus facilement. On a aussi pu acheter des machines pour assurer la transformation du cacao”, explique Moussa Sawadogo. Mais, tout n’est pas gagné pour autant et, en 2017, quand le coaching par Clémence Boulle Martinaud a commencé, il y avait encore du pain sur la planche, notamment pour améliorer la communication commerciale et institutionnelle et la visibilité de la SCINPA.
Clémence Boulle Martinaud travaille pour le Gret, une ONG française de développement depuis 2010 : “S’engager au sein d’une ONG était un défi, une nouvelle voie dans mon parcours, moi qui ai fait une école de commerce et travaillé la promotion des ventes dans l’agroalimentaire pour enfants. Après ça, j’avais voulu mettre mes compétences à profit pour des produits et des services porteurs de valeurs fortes, qui ont un sens.” En 2014, l’ONG Gret reçoit l’appel d’offres du Trade for Development Centre d’Enabel qui recrutait des coachs en marketing pour son programme d’appui aux coopératives : “J’ai décidé de postuler pour faire partie de leur pool d’experts et j’ai ainsi pu travailler avec plusieurs coopératives, dont la SCINPA.”
Le premier déplacement de la coach a lieu en juin 2017 : “Pour nous, c’était une première”, se souvient Moussa Sawadogo, “car les autres consultants font plutôt de la théorie et à distance. Clémence, elle, venait sur place et nous proposait des exercices de mise en pratique, elle prenait le temps, nous faisait recommencer ou répétait jusqu’à ce que les apprentissages soient assimilés. C’est une très bonne manière de faire.” De son côté, Clémence Boulle Martinaud se souvient des premiers contacts : “Je ne connaissais pas particulièrement le secteur du cacao, mais, en une demi-journée, on a pu définir un parcours de coaching clair, flexible et dont la caractéristique de co-construction a été appréciée. Je l’ai ressenti très vite : le matin, nous étions 2-3 personnes et, dès l’après-midi, 15 !”
Il manquait des outils pour parler de la SCINPA
Clémence Boulle Martinaud découvre une coopérative forte par sa taille : “elle est présente sur la totalité de la région avec un maillage important : 40 localités et plus de 3000 membres” ; et par ses valeurs : “C’est une coopérative de producteurs de cacao (et un peu de café) très ouverte, très humaine, très en demande et progressiste sur les questions d’égalité hommes-femmes”, observa-t-elle. Moussa Sawadogo insiste aussi sur le fait que la SCINPA accorde de l’importance à la traçabilité des produits et à l’inclusion des femmes dans la transformation des produits. Concernant la gouvernance, la coach dit ceci : “Le Conseil d’Administration est bien cadré avec un processus de décision établi et un président, en la personne de Moussa Sawadogo, disposant d’une vraie légitimité, d’une aura et d’un ancrage fort dans ce maillage local”.
Mais, alors, de quoi la coopérative avait-elle besoin en 2017, selon la première analyse de Clémence Boulle Martinaud ? “Ils avaient déjà une aura, mais la dépendance à un seul client, ça n’allait pas. Il y avait aussi l’enjeu de l’élargissement de la gamme de leurs produits. Ils voulaient faire leur propre chocolat, ils avaient déjà bénéficié du programme national d’appui aux coopératives, ils avaient plein d’idées, mais ne savaient pas comment s’y prendre.” Si les idées, le savoir-faire et les compétences étaient là, il manquait la manière de les présenter : “À l’époque, on partait expliquer notre travail avec entrain, mais nous n’avions aucun support ou pas forcément le discours adapté pour se faire comprendre”, reconnaît Moussa Sawadogo.
Ce sont les outils et la méthodologie de travail qui manquaient, relève la coach après une rapide analyse “SWOT” des forces, faiblesses, menaces et opportunités. Alors, le travail a pu commencer. “On a travaillé sur les valeurs clés de la coopérative en mobilisant les membres de la SCINPA à tous les échelons et ensuite nous avons pu définir les objectifs et les messages clés à communiquer pour chaque cible de communication de la coopérative. De ce travail a découlé celui du choix et de la cohérence entre les outils : un film de présentation de la coopérative, des plaquettes de communication distinctes institutionnelle et commerciale, un calendrier (toujours intéressant pour ce type de coopératives) et, bien sûr, les outils de communication sociale. Il y avait déjà pas mal de dessins sur des panneaux et des peintures sur les murs de la coopérative notamment contre le travail des enfants, un sujet complexe à porter, mais qui leur tient à cœur. Puis, on a comparé avec d’autres coopératives qui étaient plus petites mais plus cohérentes sur le contenu.”
Moussa Sawadogo salue l’approche de leur coach : “Le canevas de formation était très ouvert, ce qui nous permettait de nous exprimer, de nous découvrir nous-même, de pouvoir mettre en pratique et d’avancer. Tout le processus nous a donné confiance et nous a appris à mieux nous mettre en valeur. On a travaillé ensemble des brochures, le site internet, le logo ou encore le slogan.”
Des membres plus soudés
Le président de la SCINPA pense également que cette stratégie de communication, le développement du discours et des outils leur a permis d’augmenter le nombre de membres : “Bien sûr, oui. Il y a toujours ce risque de voir les membres partir vers d’autres coopératives. Maintenant, on sait mieux mettre en avant nos atouts et faire comprendre à nos planteurs qu’on est une coopérative sérieuse. De manière générale, on communique plus facilement avec nos producteurs.” Clémence Boulle Martinaud a observé ces améliorations : “Il y avait une fuite des producteurs pour de la vente directe et donc la nécessité de fidéliser. On a travaillé sur les messages : pourquoi la SCINPA, à quoi vous aurez accès, qu’est-ce que les champs-écoles, comment fonctionne le renforcement des compétences des producteurs, etc.”
Un moment fort du coaching a d’ailleurs été, lors de l’édition 2017 du Salon de l’Agriculture et des Ressources Animales (SARA) à Abidjan, la venue de plus de quarante producteurs et productrices sur le stand de la SCINPA. Pour Clémence Boulle Martinaud, l’image était puissante : “C’était vraiment une opération coup de poing. Personne d’autre ne l’avait fait. Lors du SARA, les nouveaux outils étaient sur le stand, mais la SCINPA se disait que son identité, ce n’était pas que ça. Ils avaient fait venir un car complet de producteurs, habillés de la tête au pied aux couleurs de la coopérative et qui ont été largement interviewés par les médias. Il y a eu des séances photos et, pour ces personnes qui étaient parfois réticentes à se déplacer, ça a été un moment de fierté. Et cela a soudé le groupe.” Moussa Sawadogo se souvient aussi : “Oui, nous étions très heureux. Cela a beaucoup attiré l’attention sur nous. C’était un grand moment.”
Des partenaires diversifiés
Aujourd’hui, Moussa Sawadogo est devenu le président de l’association qui regroupe l’ensemble des coopératives de cacao en Côte d’Ivoire, une autre reconnaissance du chemin parcouru avec la SCINPA. “Et, puis, à présent, nous avons une stratégie de comm’, une meilleure visibilité auprès des partenaires et des activités pour montrer l’amélioration de la transformation. On a engagé une chargée de communication, ce qui est assez unique pour une coopérative comme la nôtre.” Clémence Boulle Martinaud a identifié la SCINPA comme un laboratoire de pilotes innovants pour Cargill : “Ils sont régulièrement sollicités pour faire des tests par Cargill qui apprécie la transparence de leur chaîne d’approvisionnement et qui a financé leur certification. Ces atouts n’étaient pas mis en valeur, tout comme leurs actions sociales. Pour eux, ça allait de soi, mais il fallait en parler.”
Le coaching a permis à la SCINPA de diversifier ses clients : “Nous avons à la fois renforcé notre lien avec Cargill, notre client principal, tout en tissant des contacts avec de nouveaux partenaires à qui nous pouvons parler avec plus d’assurance de nos produits”, se réjouit Moussa Sawadogo qui a notamment participé en février 2020 au Salon du Chocolat à Paris, “J’y ai notamment croisé le grand patron d’Olam, une vraie opportunité.”
Tout cela, notamment grâce à un programme d’accompagnement dont coach et coaché insiste sur le caractère novateur. Clémence Boulle Martinaud est convaincue du modèle : “La liberté dans l’accompagnement est là, mais elle se base sur des outils concrets que nous identifions ensemble au fur et à mesure. En tant que coach, ça demande de pouvoir s’adapter très vite. J’ai apprécié les moments de rendez-vous entre coachs d’Enabel pour pouvoir échanger sur nos pratiques, sur comment mieux co-construire avec les coopératives coachées. Peut-être ces espaces pourraient-ils être plus nombreux, pour être mieux préparés en tant que coach.” Sur l’ensemble de ses missions, la coach a remarqué : “Plus c’est participatif, à travers des jeux de rôles par exemple, mieux c’est intégré.”
Les défis de demain
Pour Moussa Sawadogo, le souvenir marquant est que leur coach prenait part à la vie de la communauté, se déplaçait avec eux au champ, logeait dans une famille où elle mangeait de tout, sans manière. Il espère à présent qu’un tel accompagnement puisse s’inscrire dans la continuité : “La formation continue fait partie de nos priorités. Nous aimerions permettre, à notre chargée de communication notamment, de se déplacer, de se former dans ce métier en constante évolution.” À un niveau plus stratégique, la coopérative veut faire plus de produits transformés : “Nous produisons déjà du chocolat au sésame, au gingembre, à la noix de coco et au café et trois types de café, mais nous en sommes encore à un stade artisanal, l’objectif est la professionnalisation des techniques et du matériel.”
Mais le contexte est très difficile : “Avec le covid, les prix chutent et nous avons des stocks difficiles à vendre. Du côté des banques, nous avons de grandes difficultés à nous financer. Là, Enabel pourrait nous être utile en apportant des financements extérieurs, ou en intervenant sur les taux d’intérêts pour qu’ils soient corrects”.
Propos recueillis par Charline Cauchie