Même s’il est invisible, le cobalt est présent dans bon nombre des appareils dont nous nous servons chez nous. Matière première importante dans la fabrication des batteries, le cobalt leur permet de tenir plus longtemps. En 2019, 60 % de la production mondiale provenaient de la République démocratique du Congo. Les conditions d’extraction du minerai y sont toutefois souvent abominables. « L’Alliance pour un cobalt équitable entend améliorer les conditions de travail et de vie des membres des communautés vivant autour des mines de cobalt », nous confie l’Operations Manager Jose Diemel.
L’Alliance pour un cobalt équitable est une initiative lancée par The Impact Facility. Cette ONG internationale, cofondée par la Fairtrade Foundation britannique et Fairphone (entreprise productrice de smartphones durables), soutient les petites communautés minières. Outre The Impact Facility, l’Alliance réunit une série d’entreprises, dont Signify (leader mondial d’éclairage, société mère de Philips, entre autres) et Huayou (acteur mondial du commerce du cobalt). Nous avons eu un entretien avec le directeur des opérations Jose Diemel et le directeur de programme David Sturmes, qui pilotent ensemble l’Alliance pour un cobalt équitable.
« Depuis plusieurs années, The Impact Facility est active dans le secteur aurifère, principalement en Afrique de l’Est », nous informe David Sturmes. « Or, les problèmes que nous rencontrons dans le secteur du cobalt sont les mêmes, mais à plus grande échelle, les mines de cobalt étant en général bien plus grandes que les mines d’or. Une mine de cobalt emploie ainsi parfois des milliers de personnes. Nous appliquons maintenant aux mines de cobalt l’expérience que nous avons acquise en rendant l’exploitation de l’or durable. Vers la mi-2018, nous avons entamé des recherches et commencé à nouer des partenariats, avant de lancer, à l’automne 2020, nos deux premiers projets sur le terrain en RDC, à proximité de la ville de Kolwezi. »
Quand le cobalt est-il équitable ?
L’Alliance pour un cobalt équitable entend contribuer à l’amélioration des conditions de vie des personnes et des communautés impliquées dans l’extraction de cobalt, pour qu’elles aient la possibilité d’être les artisanes de leur propre destin et de survivre lorsqu’elles ne pourront plus gagner leur vie grâce au cobalt.
Pour y parvenir, l’Alliance mise sur :
- l’éradication du travail des enfants ;
- des mines plus sûres et des salaires plus élevés pour les mineurs ;
- la diversification économique : en veillant à ce que les revenus des communautés ne soient plus uniquement tributaires des mines de cobalt.
« Nous misons sur une relation équitable entre les parties prenantes de la filière », nous confie Jose Diemel. « Ainsi que sur la transition vers de meilleures conditions de travail. Dans le contexte congolais, il est essentiel d’être réaliste. Pour l’heure, aucune mine artisanale ne s’approche même des normes prônées par les autorités congolaises, qui portent entre autres sur l’abolition du travail des enfants, l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, la prévention des accidents, la participation de la communauté et la gestion des déchets miniers toxiques. Nous devons offrir la possibilité à ces mines artisanales de s’améliorer progressivement à ces différents niveaux, en s’attaquant d’abord aux aspects les plus urgents. »
Un cobalt durable : un sujet d’importance mondiale
En 2016, Amnesty International a publié un rapport choquant sur l’extraction de cobalt dans les mines artisanales congolaises. Travaux d’excavation dangereux, outils rudimentaires, exposition à des substances dangereuses, travail des enfants… y étaient monnaie courante.
« En réaction, les entreprises ont surtout cherché à éviter que leur nom soit lié à ce scandale plutôt qu’à améliorer la situation », commente David Sturmes. « Elles avaient tendance à fuir les mines à petite échelle et à ne plus s’approvisionner qu’auprès des mines industrielles. Mais la situation n’est pas aussi tranchée. Il ne suffit pas de commencer à poser certaines exigences en tant qu’acheteur pour supprimer les causes des dérives. Cela ne fait que les déplacer. De plus, on ne peut pas purement et simplement priver les mineurs artisanaux de leurs moyens de subsistance. »
De même, quitter le Congo n’est pas non plus une option : son sol renferme plus de la moitié des réserves mondiales de cobalt. « Tant pour les personnes qui y travaillent que pour l’économie mondiale, il est crucial d’investir dans l’exploitation du cobalt congolais. Et de s’attaquer dans le même temps aux causes de ces mauvaises conditions de travail et du travail des enfants », poursuit David Sturmes.
Toutes choses étant liées, The Impact Facility a décidé de créer une alliance qui rassemble tous les intervenants de la filière du cobalt. « Pour la première fois », affirme Jose Diemel, « les sociétés minières, les acheteurs, les gouvernements et les fabricants d’électronique ont reconnu qu’il s’agissait d’un problème commun ; tous étaient désormais prêts à investir dans la solution, alors qu’ils se renvoyaient la balle auparavant. Au sein de l’Alliance pour un cobalt équitable, ils se partagent désormais la responsabilité du fonctionnement de la filière. »
« Nous avons publié en juin 2020 le rapport Digging for change, qui constitue la base de nos initiatives. Nous y avons rassemblé toutes les connaissances et les recherches que nous possédions déjà sur le secteur du cobalt, ainsi que notre expérience dans le secteur de l’or. En tant qu’ONG spécialisée, nous avons rapidement compris ce qu’il incombait de faire dans les mines de cobalt, mais c’est logiquement que les acteurs du secteur ont voulu être parfaitement informés avant d’investir. »
Perspective d’une vie meilleure pour toute la région
David Sturmes : « De nombreuses ONG s’engagent en faveur du commerce durable en Afrique. Nous constatons malheureusement trop souvent que les communautés reviennent à la case départ à la fin de leurs programmes. Voilà pourquoi nous avons voulu impliquer l’ensemble du secteur. Nous sommes le trait d’union entre les entreprises, les gouvernements, les travailleurs et les autres acteurs à toutes les étapes de la filière.»
« Nous travaillons sur une base non lucrative, mais nous pouvons néanmoins vraiment investir, dans des machines, par exemple. Cela motive les mines à poursuivre leurs efforts », ajoute David Sturmes. « Nous ne nous cantonnons pas à marteler ‘les enfants ne devraient pas travailler’, car notre ambition s’inscrit dans une large perspective d’amélioration : plus de sécurité et de santé pour les travailleurs et travailleuses, mais aussi un meilleur rendement. »
La voie vers un cobalt plus « juste »
« Particularité de l’Alliance pour un cobalt équitable, nous partons de la situation telle qu’elle existe actuellement », nous explique Jose Diemel. « Les programmes de certification donnent souvent un feu rouge ou un feu vert – et parfois un feu orange. Ou une entreprise fait les choses bien, ou elle les fait mal, et basta ! Mais, pour l’instant, il est très peu probable que les mines artisanales de cobalt congolaises puissent déjà satisfaire à toutes les normes en matière de certification. Aussi, nous examinons comment nous pouvons aider les mineurs et les entreprises à obtenir un feu vert, étape par étape et en l’espace de quelques années. Le plan d’amélioration continue que nous avons élaboré contient toute une série de critères à atteindre sur une période de trois ans : des puits de mine plus stables et mieux ventilés, de meilleures installations sanitaires pour les mineurs, une surveillance permanente et la prévention des accidents… Notre rôle consiste à les aider à y parvenir. En d’autres termes : le fait qu’il y ait encore beaucoup de choses à améliorer dans les mines artisanales est une raison pour nos membres de se retrousser les manches, plutôt que de s’en distancier. »
Et David de compléter : « En RDC, emprunter de l’argent s’avère extrêmement coûteux, le taux d’intérêt pouvant parfois atteindre 100 %. Il est donc très difficile d’y construire quoi que ce soit. Nos investissements concrets doivent servir de catalyseur pour rendre le secteur plus moderne et plus sûr. Par ailleurs, notre rôle consiste à mettre en relation les personnes, les entreprises et les organisations. Lorsque les différents protagonistes sont informés des points de vue des uns et des autres, et les acheteurs potentiels des conditions d’extraction du cobalt, ils sont plus enclins à faire des efforts, à long terme payants pour tout le monde. »
Jose rejoint l’avis de son collègue : « Pour atteindre notre objectif, nous devons mettre en place de nombreuses pièces du puzzle, mais nous travaillons sur plusieurs éléments en même temps. Nous discutons avec le gouvernement congolais afin de pouvoir œuvrer en complément des mesures que celui-ci prend déjà. Parallèlement, nous collaborons très concrètement avec les coopératives qui regroupent les travailleurs et travailleuses, ainsi qu’avec l’acheteur chinois de cobalt. Nous examinons ensemble les étapes nécessaires pour obtenir ce feu vert, ainsi que les écueils à éviter. Dans un même temps, nous permettons à l’alliance de se développer, car notre ambition est d’investir dans plusieurs mines de la région, dans l’intérêt de quelque 150.000 mineurs. Nous avons donc besoin du soutien et du capital de davantage d’entreprises. »
Prête à avoir un impact
Durant les premiers mois du projet, l’Alliance pour un cobalt équitable s’est attachée à construire des bases solides.
Jose Diemel : « Nous avons noué des relations avec le gouvernement congolais, des ONG et d’autres organisations internationales qui effectuent un travail complémentaire au Congo, comme Save the Children, ainsi qu’avec le Partenariat d’action pour le cobalt (PAC), une initiative lancée par la plateforme Global Battery Alliance. Nous avons recruté de nouveaux membres, dont des producteurs de batteries, des constructeurs automobiles et des fabricants de smartphones, mais aussi l’organisme industriel chinois Initiative pour un cobalt responsable (RCI). Nous avons élaboré un cadre que d’autres peuvent adopter pour rendre l’exploitation du cobalt plus durable, et nous sommes prêts pour les prochaines étapes : agir au niveau des mines elles-mêmes. Et cela aura un impact durable, car nous nous attaquons au problème à l’échelle du secteur. »
L’Alliance pour un cobalt équitable est consciente des regards critiques dont elle fait l’objet, puisqu’elle compte parmi ses membres des multinationales telles que le géant des matières premières Glencore. « Nos membres et partenaires en font également l’objet et sont impatients d’engranger des résultats, toutes et tous reconnaissant qu’il est dans l’intérêt de tout le monde de s’attaquer aux problèmes de la filière. Maintenant que nous avons lancé notre projet sur le terrain, nous comptons en assurer un suivi rigoureux, que nous allons confier à un organisme indépendant. Nous allons aussi communiquer en toute transparence sur ce que nous réalisons, sur les objectifs que nous atteignons ou non et pour quelles raisons », nous assure David Sturmes. Le partenaire indépendant de suivi veillera également au respect des accords de l’Alliance par ses membres.
Cette année, dans le souci d’impliquer davantage encore toutes les parties prenantes dans les différents aspects de la filière, l’Alliance pour un cobalt équitable met en place des groupes de travail. « Les membres échangeront directement leurs connaissances et leurs expériences, et pourront se faire une meilleure idée des points de vue de chacun, afin d’obtenir ensemble un véritable impact positif. » explique Jose Diemel,
Les attentes sont donc élevées. Mais l’Alliance pour un cobalt équitable se veut également réaliste. « Il faut replacer les choses dans leur contexte. C’est la RDC, il y a tellement de facteurs en jeu que nous ne pouvons pas contrôler. C’est pourquoi la transparence sur notre approche et nos résultats est si importante », conclut David Sturmes.