Les séances d’accompagnement à distance proposées par le Trade for Development Centre d’Enabel, pour maintenir les coachings malgré le Covid, n’ont pas forcément été fluides et faciles à mener. En cause, principalement : les soucis de connexion des organisations, mais aussi le besoin intrinsèque de la rencontre de visu. Reste que des éléments positifs sont à retenir de ces expérimentations et qu’un changement de culture à long-terme est indéniablement en marche.
Enquête de satisfaction
Le TDC d’Enabel appuie des entreprises de producteurs sous la forme d’un programme complet de coaching en marketing, en finance et gestion d’entreprise. Le trajet d’accompagnement est participatif, personnalisé, conçu sur mesure et réalisé habituellement sur place dans les locaux des organisations par des spécialistes. Pour augmenter son impact, le TDC accompagne également des structures de soutien aux entreprises (BSO – Business Support Organisations) : ceci renforce l’offre locale de services d’accompagnement et de soutien à l’entrepreneuriat et rend ces prestataires plus pérennes, durables et adaptés aux réels besoins des entreprises locales.
Le TDC a réalisé avant l’été 2021 une enquête de satisfaction de son coaching à distance. Cette formule avait été mise en place dans les mois qui ont suivi le premier confinement de mars 2020 afin de pallier l’impossibilité pour les coachs de se déplacer au Burkina Faso, au Mali, en Côte d’Ivoire, en Ouganda ou dans les autres pays d’Afrique où se situent les organisations bénéficiaires du programme de coaching.
“Nous avons voulu faire le point sur les challenges et avantages de ce type de coaching imposé par le Covid-19” explique Samuel Poos, coordinateur du TDC. Au total, 12 coopératives et BSO ont répondu à l’enquête qui s’est déroulée par écrit via un questionnaire et/ou via des entretiens oraux à distance selon les préférences et moyens de communication à la disposition des organisations. Cet article regroupe les éléments récurrents et les enseignements que l’on peut tirer de cette expérience via les témoignages de six intervenant·es :
- Étienne Christian Dioma, directeur de l’Union des Producteurs de Mangues Biologiques (UPROMABIO) au Burkina Faso ;
- Anderson N’da N’guessan, chargé de programme au sein de l’Agence Côte d’Ivoire PME (CIPME) ;
- Aya Esteher N’Goran, directrice générale, et
- Armand Nemlin, trésorier général, de la Coopérative Agricole pour le Développement de Sassandra (CADESA) en Côte d’Ivoire;
- Toumani Sidibe, responsable de Certification et de Suivi & Evaluation pour la Fédération Nationale des Producteurs de l’Agriculture Biologique et Equitable (FENABE) au Mali ; et,
- Mibiiri Davis, manager au sein de la Société Coopérative Karangura Peak Modern Coffee (KAPCCO) en Ouganda.
D’emblée, il faut dire que les coachings à distance n’ont pas toujours pu être des accompagnements en tant que tels. Nombreux sont les duos coachs-coachés qui se sont servis des échanges virtuels pour mieux préparer le déplacement du ou de la coach, qui était alors remis à une date ultérieure, ou éventuellement faire du suivi, dans le cas des coopératives qui avaient déjà entamé leur parcours de coaching lors de sessions de formation en présentiel avant mars 2020. Il est ainsi important de noter que le distanciel remplace difficilement le présentiel à cause d’une série d’inconvénients. C’est par là que nous allons débuter ce compte rendu.
Connexion instable: quand les problèmes technologiques freinent tout
Les moyens technologiques qui ont mis en connexion coachs et coachés se limitaient rarement à une seule interface. Étienne Christian Dioma (UPROMABIO) est l’exception. Il a fonctionné uniquement via WhatsApp : “Dans notre localité, la connexion est mauvaise”, commente-t-il. Il a préféré se concentrer sur ce moyen de communication, le plus fiable à sa disposition, mais qui a le désavantage de ne pas permettre facilement des échanges à plusieurs. S’appeler par WhatsApp peut faciliter la compréhension pour un·e membre de la coopérative, mais pas pour un groupe, comme le signale Anderson N’da N’guessan de CIPME : « Ce qu’on n’avait pas bien perçu par mail, [le coach] me l’a bien expliqué au téléphone. J’ai dû répéter cela à mes collègues », raconte-t-il.
Armand Nemlin de CADESA insiste à ce propos sur l’avantage indéniable du présentiel en matière de participation du groupe : « Faire le coaching en présentiel est plus recommandé, tout le monde peut parler, poser ses questions. Si l’on doit faire une évaluation virtuelle ce n’est pas possible. On pourrait envoyer des mails, mais l’impact ne serait pas le même.» Sa directrice générale Aya Esteher N’Goran insiste aussi sur la notion de partage : « Lors du coaching en présentiel, on peut analyser un document ensemble, chacun peut exprimer son point de vue, puis on peut insérer d’autres choses.»
La plupart des organisations ont jonglé avec plusieurs moyens de communication. Par exemple, CIPME en Côte d’Ivoire et la FENABE au Mali ont combiné des échanges par visioconférence (plutôt Skype que Teams), par mails et via WhatsApp, avec des interlocuteurs différents au sein des coopératives selon les moyens utilisés. Aya Esteher N’Goran (CADESA) détaille : « Le premier coaching s’est fait par vidéoconférence, ça n’a pas été facile, car les zones d’activités ne sont pas installées en pleine ville. Nous avons donc dû faire face aux aléas du réseau, nous échangions aussi par mail. La deuxième séance s’est faite également via ces deux moyens. »
La connexion instable est un élément qui revient de façon récurrente dans les témoignages, y compris chez FENABE qui a bénéficié d’un changement d’opérateur grâce à un financement du TDC. Chez CIPME, beaucoup d’échanges par mail ont eu lieu pour pallier les soucis de connexion : « Dans les mails, on avait plus de détails par rapport à l’approche, notre coach nous a fait des propositions d’axes sur lesquels on souhaitait qu’il intervienne. C‘était donc beaucoup par mails, c’était plus précis, plus concis, plus facile à moduler au fur et à mesure », se souvient Anderson N’da N’guessan.
Les sessions à distance : pour poser le cadre
Dans ces conditions, il était difficile de mettre en place un réel accompagnement à distance. Dans le cas de la CIPME, « il n’y a pas eu de coaching à distance, le coaching qui a eu lieu était en présentiel. Les échanges que nous avons eus avec notre coach à distance, c’était pour préparer son arrivée », résume Anderson N’da N’guessan. Pour Étienne Christian Dioma d’UPROMABIO qui n’avait encore jamais rencontré sa coach, les préparatifs ont aussi occupé l’essentiel des échanges : « On a surtout parlé de la préparation, des documents et informations que l’on devrait récolter.»
Chez FENABE par contre, de véritables sessions de coaching ont eu lieu. Toumani Sidibe leur reconnaît une certaine efficacité : “Même si ça a des limites, c’est économique d’un point de vue financier pour l’organisation qui ne doit pas se déplacer. Plus de choses peuvent être faites en présentiel, mais à distance, ça va plus vite, on limite le temps de travail à cause de la fatigue liée à l’écran et on concentre le coaching sur une heure ou deux maximum”. À l’inverse, CADESA a trouvé les sessions en ligne trop brèves, malgré la disponibilité et la flexibilité des coachs.
Souvent, les enjeux et la méthodologie de travail du coaching ont pris du temps à être intégrés par les participants, comme chez FENABE ou UPROMABIO. Il faut aussi plus de temps pour qu’un rapport de confiance se tisse entre coach et coachés : “Quand vous discutez par WhatsApp, vous n’avez pas la même sensation qu’avec une personne que vous connaissez déjà. Moi, personnellement, je ne connaissais pas [notre coach], j’ai communiqué avec elle, mais je ne voyais pas de qui il s’agissait. Quand elle est venue par la suite, ça a changé la manière de voir les choses”, se souvient Étienne Christian Dioma d’UPROMABIO. “Au départ, on ne comprenait pas très bien le coaching, c’est maintenant qu’on est en train de le comprendre”, glisse-t-il. Même situation chez CIPME pour qui la différence entre coaching et formation n’était pas évidente au départ.
Quant à Karangura, ils ont pu profiter beaucoup plus de la session en ligne, parce qu’elle avait été précédée de véritables rencontres : “Il est indispensable d’avoir un premier contact physique. C’est uniquement grâce à ce contact que nous avons pu accomplir autant. Le coaching en ligne pour les formations est par la suite très intéressant grâce à la flexibilité offerte”, observe Mibiiri Davis. Avec une connexion satisfaisante, les résultats sont prometteurs : “Durant le coaching, nous avons pu développer la stratégie de notre projet, notre site internet et logo, travailler sur l’histoire de nos produits, le développement de compétences financières et les outils de prévision. Nous avons aussi travaillé sur notre proposition de valeur et la diversification de nos ventes (…). Cela nous a permis d’obtenir de plus grands revenus même si la quantité vendue était moindre”, s’est félicité Mibiiri Davis.
Un changement de culture à intégrer
Les échanges à distance, envisagés comme des préalables au déplacement du/de la coach et à la rencontre avec lui/elle, sont très positifs : “Cela nous a permis d’anticiper énormément sur le contenu que nous devions aborder en présentiel, nous avons eu le temps de préparer les objectifs de toutes les thématiques à aborder et les résultats à atteindre. Quand le coach est arrivé, nous sommes allés directement au coaching sans passer par des préalables”, souligne Anderson N’da N’guessan (CIPME).
Chez CADESA, Armand Nemlin va dans le même sens : “Dans l’ensemble, les coachs sont des personnes à la hauteur, qui ont touché plus ou moins les aspects de nos activités, qui ont pu recueillir nos difficultés et qui, même à distance, ont fait des propositions. Ils nous ont suggéré des activités à mener. Avant qu’on ne se rencontre, on avait déjà posé les bases grâce au coaching à distance. Quand on s’est rencontré, (…) ça nous a permis de vraiment toucher aux difficultés soumises aux deux coachs.”
Le contexte sanitaire international a changé profondément certaines habitudes de travail et d’apprentissage sur lesquelles Anderson N’da N’guessan de CIPME est revenu : “Il faut reconnaître qu’en Côte d’Ivoire, les outils de formation à distance ne sont pas ancrés dans nos habitudes. À la faveur du Covid, on a dû basculer en mode webinaire ou en ligne, du coup c’est un changement de comportement et de contexte. (…) Quand on fait une formation à distance, les interactions ne sont pas toujours suffisamment profondes pour aboutir à l’objectif. [En présentiel], on peut aborder certaines questions stratégiques qu’on n’aurait pas pu aborder en ligne aussi par manque de concentration. Trois heures de temps en ligne, c’est trop important. Alors qu’en présentiel, on arrive à déborder parce que les débats sont passionnants, houleux. C’est participatif du coup et, comme vous le savez, ici en Afrique, on aime la chaleur humaine.”
Pour CADESA, un mix entre virtuel et présentiel serait peut-être une formule intéressante, comme le recommandait Aya Esteher N’Goran : “Tout est une question d’organisation. (…) On peut s’organiser, s’arranger de manière virtuelle, mais qu’il y ait au moins une rencontre physique est important.” et Armand Nemlin d’ajouter : “Je pense qu’il faut qu’on adopte les nouvelles technologies pour ne pas être en retard. Là, on s’est partagé des mails, des comptes rendus. En termes de coût et de temps, c’est avantageux. Lier les deux est faisable pour nous. Certaines activités ne nécessitent pas que le coach soit là. On peut faire les réunions par visioconférence et, une fois les champs d’action définis, on se dit qu’on a un mois pour travailler dessus. Le mois suivant, le coach vient nous voir.”
« Les échanges via visioconférence peuvent très bien fonctionner, mais ils doivent s’appuyer sur des visites des coachs sur le terrain, notamment préalables pour établir la confiance, et bien entendu sur de bonnes connections Internet. Ils sont également utiles pour préparer les visites et pour en assurer le suivi » résume Samuel Poos.
Robert Vastmans, en charge du coaching en gestion financière au TDC, ajoute que « le coaching à distance permet aussi de professionnaliser la communication en ligne, entre autres avec les clients internationaux. Grâce à l’expérience des ‘sessions de coaching à distance’, le président, les membres des CA et les équipes commerciales des coopératives se sentent mieux préparés, plus à l’aise pour communiquer en ligne avec leurs clients (potentiels), bailleurs de fonds, etc. Ils sont moins dépendants des rendez-vous en présentiel, des visites plus difficile à planifier. Il en va de même pour le suivi des participations aux foires commerciales locales ou internationales. On gagne en efficacité, en proactivité et les coopératives restent plus facilement en lien avec les personnes rencontrées. »