En 2017, ECAM, coopérative cacaoyère ivoirienne, a bénéficié de son premier trajet de coaching en gestion financière, d’entreprise et marketing auprès du Trade for Development Center (TDC) d’Enabel. Fin 2021, nous avons retrouvé Djakaridja Bitie, l’un de ses membres, afin de faire le point sur l’évolution de la coopérative ainsi que sur ses propres perspectives professionnelles en tant que coach pour le TDC.
L’enthousiasme est palpable : sa mission de deux mois en Belgique marque un tournant pour Djakaridja, producteur de cacao, responsable marketing et prospection au sein de l’Entreprise Coopérative des Agriculteurs de Méagui (ECAM), implantée à l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Récemment désigné coach junior au sein de l’équipe d’Enabel, l’évolution de son parcours est à l’image de celle de sa coopérative : inspirante. Créée en 2004, ECAM regroupe plus de 2.000 membres dont 322 femmes. Certifiée commerce équitable depuis 2016, elle opère le choix d’une transformation ambitieuse et en profondeur dans le cadre de l’accompagnement fourni par le TDC dès 2017, ce qui lui a permis ces derniers mois d’affronter un nouveau défi de taille : obtenir la certification biologique. Selon Djakaridja Bitie, “les apprentissages acquis depuis 2017 ont facilité le processus”, long de trois ans, grâce à une planification des étapes nécessaires. ECAM obtient sa certification, pour la première fois, en 2020, tout juste reconduite.
Le bio, une transformation profonde
Entamer sa procédure de certification biologique place ECAM, soutenue par Enabel, face à de multiples challenges : “identifier de nouvelles zones de culture bio, lever les freins à la production organique, y sensibiliser les cultivateurs de cacao ivoiriens et démarcher une niche exclusive, à la croisée du bio et de l’équitable”, énumère Djakaridja Bitie. “Initialement, cinquante-cinq membres de la coopérative se sont engagés dans le processus. Ils ont fait preuve d’une solide capacité d’adaptation et de résilience pour surmonter la période difficile sur le plan économique durant les deux premières années de transition”. Car c’est seulement au bout de trois ans, à l’obtention du certificat, que les cultivateurs concernés ont reçu leur prime alors que les changements occasionnés par la transition du conventionnel au bio ont occasionné des pertes.
Parce qu’il faut savoir que trouver des pesticides et engrais naturels agréés en vue d’exporter leur cacao est toujours un des défis majeurs pour les cultivateurs : « En Côte d’Ivoire, certains intrants organiques ne sont pas homologués sur le marché européen tandis que les rares produits reconnus affichent des prix exorbitants. Durant deux ans, nos producteurs n’ont donc utilisé aucun intrant de substitution sur leurs plantations, faute de produit organique pour remplacer les substances chimiques. Leurs rendements ont chuté alors qu’ils dépendent entièrement de leurs revenus de production pour vivre. Sans solution pour combler ce manque, nous avons développé nos propres produits et stratégies de diversification. » Des solutions nécessaires, bien que coûteuses, et qui dépassaient malheureusement les volets technique et prospectif subsidiés par Enabel, notamment en matière de logistique : « Le stockage et le transport du cacao bio, par exemple, requièrent un matériel exclusivement dédié pour éviter tout risque de mélange de produits » décrit encore Djakaridja Bitie. Finalement, la candidature d’ECAM a été retenue dans le cadre d’un appel à projets français qui lui a permis de fabriquer ses bio-pesticides, bio-intrants et engrais organiques.
Aujourd’hui, la coopérative compte cent vingt-six membres certifiés bio et son volume total de production de cacao bio a triplé, passant de cent tonnes la première année à plus de trois cents en 2021.
Militer et insuffler une dynamique de changement
« Seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin ». À lui seul, ce proverbe résume bien l’impulsion amorcée par ECAM et soutenue notamment par le TDC. Pour avancer, la coopérative a organisé et réuni un panel d’acteurs clés autour des enjeux, défis et perspectives de la production de cacao biologique en Côte d’Ivoire : des représentants de coopératives produisant bio, d’organismes certificateurs, de fabricants d’intrants locaux homologués ou encore du Conseil Café-Cacao, l’organe régulateur du pays. Leurs échanges ont favorisé la résolution de problèmes, l’émergence de solutions et l’adhésion des participants au modèle, convaincus de l’impact positif du dialogue engagé, des idées et des bonnes pratiques partagées autour de la table.
D’ailleurs, Djakaridja Bitie ne manque pas de défendre ce discours aujourd’hui à l’international auprès des décideurs belges pour souligner les bénéfices d’une production alternative : « Sur le plan financier, la culture biologique permet, à terme, de générer plus de revenus. Sur le plan humain, elle œuvre pour la durabilité, la protection de notre environnement et de notre santé. » Car la voix de Djakaridja Bitie dépasse aujourd’hui les frontières de la Côte d’Ivoire. En décembre s’organisait, au Parlement fédéral de belgique, une rencontre entre des députés, des représentants d’Enabel et d’ONG, ainsi que des experts, en vue d’échanger sur l’enjeu de législations nationales et européennes en matière de devoir de vigilance des entreprises. Cette réunion offrait l’opportunité à l’Ivoirien d’insuffler une prise de conscience dans le chef des parlementaires quant à l’utilité de ces nouvelles lois. Il a plaidé pour l’impulsion d’une dynamique de changement en faveur d’importations durables, soulignant leur impact positif sur les petits producteurs.
Rappelons-le, l’Union européenne demeure le plus grand importateur mondial de cacao. Or, les actions isolées de ses États membres restent insuffisantes pour protéger la population locale des dérives du marché. Seule une contrainte supranationale peut astreindre l’ensemble des intervenants de la chaîne de valeur, dont les multinationales. « Qui aurait dit, malgré les lois déjà entérinées, qu’on parlerait encore, en 2021, de la déforestation ou du travail des enfants ? » argumente-il. « Ces enjeux sont étroitement liés aux revenus décents. Impossible de s’en sortir si le prix du cacao est fixé à 800 francs CFA alors que les coûts de production s’élèvent à 750 francs. Un prix juste tient compte de la marge du producteur et des différents facteurs comme le coût de la main d’œuvre. Avec un revenu décent, vous n’accepterez jamais que votre enfant rate l’école, ne fût-ce qu’un seul jour. » Dans un pays où des milliers de personnes vivent de la filière cacaoyère, le commerce équitable peut réellement contribuer à changer la donne comme le prouvent les groupements labellisés Faitrade. Les défis, pour ce secteur, sont multiples tant du point de vue environnemental que socio-économique, insiste Djakaridja : « Le cacao ivoirien représente 10% du PIB du pays, 40% de nos recettes d’exportation et 40% du volume mondial de production. Les conditions de travail éthiques liées au commerce équitable ont un impact positif sur le terrain, notamment en matière de lutte contre le travail des enfants, de scolarisation, de leadership des femmes, d’autonomisation financière des groupements ou encore d’agroforesterie. »
2022 : le bio-équitable
Mais revenons-en plus spécifiquement aux défis d’ECAM pour les prochains mois et les prochaines années. Grâce à son double label, le cacao d’ECAM peut à présent viser un marché nouveau : « Actuellement, nous ne vendons notre production que sur le marché du bio. La niche, plus rémunératrice, du bio-équitable nous permettrait de doubler notre prix de vente pour atteindre jusqu’à 1.600 francs CFA (2,44 euros) par kilo de cacao. » Prospecter ce nouveau marché constitue cependant un challenge de taille et, fin 2021, Djakaridja se trouvait dans notre pays pour rencontrer de potentiels nouveaux clients. Mais pas que…
Nourrir la terre et les esprits
Car l’Ivoirien, qui franchit le cap des vingt années d’expertise dans la filière cacaoyère, capitalise son voyage en Belgique pour parfaire sa formation auprès de Christine Englebert, experte en marketing et entrepreneuriat durable dont il a été dans un premier temps le “coaché” puisque c’est elle qui a accompagné ECAM dès 2017. Dorénavant, lui et elle forment un binôme dans le cadre d’un projet pilote de coaching mené par le TDC. La nouvelle mission de coach junior de Djakaridja Bitie a notamment pu voir le jour suite aux difficultés, essentiellement techniques, rencontrées par l’équipe internationale du TDC, lors de ses accompagnements transposés à distance (en ligne) à cause de la pandémie de Covid-19 : “Les formations en ligne, c’est très compliqué vu les problèmes de connexion dans de nombreux pays”, contextualise Djakaridja Bitie. Outre sa position stratégique, lui qui est basé en Côte d’Ivoire, le coach junior souligne la plus-value de son binôme avec Christine : « Nos profils se complètent. Le coach international possède l’expertise et maîtrise l’aval de la filière, la transformation, la fabrication. De mon côté, je connais le contexte, l’environnement, la chaîne de valeur en amont, depuis la base jusqu’à l’exportation. »
Ensemble, le duo développe un modèle sur-mesure, pleinement adapté aux enjeux des groupements coopératifs. Leur travail se base avant tout “sur la connaissance et la confiance”. “Je me présente aux coachés en tant que responsable d’une coopérative et producteur, comme eux. Je connais leurs réalités et je leur traduis les termes qui peuvent paraître du jargon et dont ils n’osent pas forcément demander la signification.” Le suivi proposé par Djakaridja vise essentiellement à développer l’esprit coopératif des bénéficiaires via le déploiement d’une vision qui dépasse les seuls enjeux financiers, en matière de durabilité, de promotion de l’excellence ou encore de lutte contre le travail des enfants.
Pour éviter tout conflit d’intérêt entre sa nouvelle mission et celle au sein d’ECAM, le coach junior balise d’emblée les limites de son intervention, protégée par la signature d’une charte de confidentialité via Enabel. Via la nouvelle expertise acquise, Djakaridja Bitie estime que c’est une opération dont les coachés et lui peuvent sortir gagnants : « Ma propre coopérative en ressort gagnante également car mes apprentissages se ressentent naturellement dans ma façon de travailler, de surmonter les difficultés ou de viser des résultats efficients. » Ainsi, Djakaridja Bitie, qui a personnellement financé sa mission en Belgique, croit dur comme fève à la concrétisation de ses projets : cultiver plus de durabilité dans sa filière et propager l’odeur exquise du cacao bio-équitable à l’international. Un parcours engagé – et inspirant, vous avait-on dit !