En juin 2022, l’équipe du TDC a rencontré Joachim Munganga, le Président de la Sopacdi (Solidarité Paysanne pour la Promotion des Actions Café et Développement Intégral), une coopérative de producteurs de café du Sud-Kivu. Il revenait tout juste du World of Coffee organisé à Milan par la Specialty Coffee Association. La Sopacdi y a remporté la 3e place du concours organisé par le label SPP dont l’objectif est de faire connaître les cafés de qualité des petits producteurs.
« C’est très important, cela donne une place dans le marché. Cela engendre plus de publicité et cela démontre que la coopérative produit du café de qualité. L’an dernier, quand Sopacdi a terminé en tête du concours, nos trois containers invendus sont partis très vite. » commente Joachim Mungaga.
Joachim nous a accordé une longue interview au cours de laquelle il est revenu sur la création de la coopérative et l’importance du café dans la région, les défis actuels de l’organisation et l’appui du Trade for Development Centre. Christophe Grasser, coach pour le TDC, a mis en avant les challenges auxquels fait face l’organisation.
A l’origine de la Sopacdi
« Je suis fils de producteurs. Mon père avait une petite plantation de café, grâce à laquelle il a pu payer mes frais scolaires. » nous dit Joachim. « Dans les années ’60, on ne pouvait pas construire de maison, ni scolariser ses enfants sans avoir de café. Lorsqu’un jeune garçon demandait une fille en mariage, une des premières questions posées était de savoir si sa famille avait des plans de café. Le café a fait la vie là-bas.
Par la suite, les mesures économiques zaïroises des années ‘70, comme les nationalisations, n’ont pas épargné le café, dont le prix a chuté, alors qu’il restait stable chez les pays voisins. Les producteurs prirent alors l’initiative de vendre du café en contrebande notamment au Rwanda via le lac Kivu. Le vent, mais aussi les attaques des bandits, provoquèrent de nombreuses pertes. Plus les pirogues s’agrandissaient, plus elles étaient motorisées, plus il y avait de morts. A tel point que les petits producteurs se découragèrent, le nombre de deuils dans certains villages étant très importants, parfois une trentaine de morts. Il y eut beaucoup de veuves, beaucoup d’orphelins. Les gens se disaient « allons-nous produire du café pour mourir ? »
« Je fais aussi partie de ces gens qui abandonnèrent les plantations de café pour se lancer dans l’agriculture vivrière. Nous avons planté des bananiers, du manioc et la production de café a chuté. Nous avons perdu, oublié les techniques de traitement du café et la qualité s’est fortement détériorée. Le café du Congo disparut du marché international, n’était plus connu des consommateurs. Les maisons construites grâce au café commencèrent à disparaitre. Les parents avaient des difficultés à scolariser leurs enfants ou à payer les frais de santé. »
« Je me suis alors dit : ‘Où allons-nous comme cela ? Où est-ce que cela va nous mener ?’ Que puis-je faire pour ma communauté. J’ai alors appris que le café des petits producteurs avait le vent en poupe sur le marché international. On m’a conseillé de créer une associations de producteurs si je voulais améliorer la situation de ma communauté. C’est ce que j’ai fait. J’étais en contact avec une coopérative rwandaise, la Coopac, certifiée Fairtrade. Avec 5 ou 6 autres personnes, j’ai créé la Sopacdi. J’ai sillonné la région, sensibilisé et mobilisé. Les gens ont eu confiance en moi car je suis natif de la zone. Je suis infirmier et j’y soignais des gens. A l’époque, de nombreuses associations finissaient en conflits. Ils se sont dit : ‘Avec Joachim, on peut essayer. Il a des biens ici, il ne peut pas fuir et nous le connaissons.’ Il a fallu beaucoup de patience. De 2003 à 2007, on bricolait, sur les méthodes de traitements de café, sur les partenaires. Nous n’avions pas de structure coopérative convaincante. On envoyait des échantillons partout. »
Un échantillon va finalement parvenir à Twin en Angleterre et sera apprécié. « Ils nous en ont demandé un deuxième, puis en troisième, et finalement se sont rendu sur le terrain à une époque où la région était très insécurisée, où des jeunes se promenaient armés, etc. Ils nous ont proposé un prix inférieur à ce que nous recevions au Rwanda, avec comme argument que notre café n’était pas connu. Nous avons finalement accepté cette perte pour promouvoir notre café en Europe. Twin a commandé 6 tonnes de café, en partie vendue à Café Liégeois en Belgique. L’organisation anglaise a alors débloqué des petits budgets pour que notre coopérative puisse se structurer. Dans une coopérative, il faut des élections, nous ne le savions pas. La gestion doit être transparente, avoir une comptabilité, nous n’y connaissions rien. Il était urgent de recruter un comptable, de recruter des agronomes. C’est comme cela que nous avons engagé notre comptable actuel, qui nous a beaucoup apporté. Six ans plus tard, il devenait directeur financier et il est aujourd’hui directeur général de la Sopacdi. »
Sopacdi décolle et développe ses activités sociales
« Nous avons alors développé les volumes, respecté les standards Fairtrade qui donnent une place importante à l’équité entre hommes et femmes au sein du ménage. Or, vous savez que chez nous la femme est exclue de la gestion des ressources obtenues grâce au café, alors qu’elle travaille dans les champs. Une femme n’était pas autorisée à tenir une réunion avec des hommes, à y donner son point de vue. Nous avons travaillé sur ce sujet et, aujourd’hui, plus de 4000 femmes sont membres de la coopérative. Elle sont présentes dans chacun des secteurs. Elles sont éligibles et électrices. Aujourd’hui, les hommes et les femmes participent ensemble aux réunions, et les femmes de différentes régions ont un comité au sein duquel elles échangent leur expérience. »
« Nous nous sommes également occupés de personnes plus marginalisées. Nous avons construit une école primaire pour les pygmées de la région. Nous avons financé les études secondaires de 4 d’entre eux, et un est allé à l’université. Nous avons créé des associations villageoises de crédit pour les pygmées, pour les femmes aussi, car les problèmes de dettes des ménages étaient importants dans la coopérative. »
La Sopacdi doit négocier un tournant
La crise du Covid et les difficultés d’accès au marché mettent en péril la distribution des plans de caféiers et les activités sociales de la Sopacdi. « Chaque année, nous redistribuons des plants de caféier à tout le monde, membre de la Sopacdi ou pas, car nous voulons promouvoir le café. Avant le Covid, nous vendions 23 containers, qui généraient des primes suffisantes pour financer cette activité. Nous en sommes malheureusement aujourd’hui à 13. Avec nos près de 13.000 membres, nous devons payer plus de 40 agronomes à chaque fin de mois. C’est compliqué d’assumer toutes ces charges et de mener nos activités sociales. En outre, alors que c’était la mode il y a quelques années, plus aucun client ne nous demande aujourd’hui du café des femmes. Les activités qui permettaient aux femmes de se réunir seront supprimées. Les activités de distribution de plantules aux élèves également. »
Quelles sont les conséquences pour les producteurs ?
« Nous n’achetons auprès des producteurs que les quantités pour lesquelles nous avons des contrats de vente. Car c’est grâce aux contrats que la banque nous débloque l’argent nécessaire à l’achat du café aux producteurs. A court terme, cela ne pose pas trop de problème aux producteurs, car comme le prix du café sur le marché international est à la hausse, le café qui n’est pas acheté par la Sopacdi l’est par ailleurs. Si la Sopacdi s’effondrait, ce serait une mauvaise chose pour la réputation des Congolais dans notre région, car la Sopacdi est coopérative de référence, nous avons pu démontrer que nous pouvions nous organiser ».
Les challenges ne manquent pas
Christophe Grasser, coach du TDC confirme et complète les challenges auxquels doit faire face la Sopacdi comme le nombre élevé de membres. «La Sopacdi est en croissance constante et compte aujourd’hui environ 13.000 membres. Les attentes par rapport à la coopérative sont nombreuses, mais une véritable collaboration entre les membres et la coopérative doit encore se mettre en place. Un exemple : pour devenir membre, un caféiculteur doit acheter une part sociale de 10 dollars, dont le paiement peut-être étalé. On n’est cependant loin de compte, tout le monde ne paie pas sa participation, alors que les problèmes financiers de la Sopacdi sont importants. Autre challenge : la diversité des membres, composés de jeunes, de femmes, de pygmées. Troisièmement, de nouveaux acteurs, comment ceux présents dans le parc Virunga, bénéficient de beaucoup de moyens de communication et la Sopacdi doit trouver sa place au milieu de tout cela. La Sopacdi est comme un gros paquebot qu’il faut stabiliser, mais j’ai confiance. Et dernière chose, la coopérative ne doit plus reposer sur une seule personne. Un renforcement des institutions, des personnes impliquées est nécessaire pour qu’elles puissent comprendre tous les enjeux. Tous ces défis ont été identifiés par l’équipe de Sopacdi elle-même. On va donc pouvoir travailler dessus. »
L’appui du TDC
Cela fait plusieurs années que le TDC accompagne la Sopacdi dans son développement, que ce soit en investissant dans des pépinières pour renouveler les caféiers, ou en finançant la lutte contre l’érosion dans une zone habitée par une communauté de Twas, pour les aider à pérenniser la production de café.
Aujourd’hui, le TDC appuie la coopérative en gestion d’entreprise et en marketing. Christophe Grasser explique le travail d’accompagnement lors duquel l’autonomisation de la coopérative occupe une place centrale : « Nous avons travaillé avec les équipes sur des propositions d’action à développer, avec une dizaine de personnes de la Sopacdi impliquées, dont Joachim. Nous avons effectué une analyse SWOT et son inverse, l’analyse TOWS pour définir un plan stratégique à 4 ans sur 4 grands axes. Et la dernière pierre à l’édifice sera de décliner ce plan stratégique en plan annuel et de s’assurer que la méthodologie soit appropriée par les membres de la Sopacdi, pour qu’ils puissent eux-mêmes définir les indicateurs et le plan d’action de 2024 et des années suivantes. Je travaille vraiment main dans la main avec Raf Vandenbrulle, coach marketing du TDC, sur le développement d’outils marketing, sur la participation à des foires commerciales, sur la manière de rencontrer de potentiels acheteurs et de rester en contact avec ceux existant ; appréhender leurs besoins, essayer de saisir le marché, faire comprendre à la Sopacdi que tout un écosystème fonctionne autour d’eux et qu’il faut mettre le doigt dans l’écosystème pour en faire partie et être un acteur reconnu. C’est un travail qui n’est pas évident. Ces trois ou quatre dernières années, le contexte externe avec la crise du Covid, les tensions de guerre, et les tensions avec le Rwanda, rendent les choses plus difficiles. De nouveaux acteurs sont aussi apparus. Comment la Sopacdi, un des premiers acteurs sur le terrain, va-t-elle pouvoir maintenir sa spécificité, son rôle social important. C’est un appui multifacettes, mais il faut surtout que la Sopacdi s’approprie les méthodologies utilisées, qu’elle puisse être autonome. »
Fertilisation des sols et agroécologie
Outre le coaching de la coopérative, le TDC a aussi octroyé un financement sur deux ans pour améliorer la production et la fertilisation des sols.
« Le projet financé par le TDC d’Enabel nous permet d’acheter de nouvelles machines pour le déparchage et le séchage, de nouvelles tables de séchage et l’amélioration de la production (fabrication et application de biofertilisants solides et liquides), ainsi que des plantules pour la pratique de l’agroforesterie. C’est bénéfique pour les sols, mais cela demande un gros travail de sensibilisation. Nous créons des champs pilote pour que les producteurs les comparent avec les leurs et se rendent compte des bienfaits des biofertilisants. C’est très important et très utile compte tenu de la situation au Kivu. Vous savez, le Kivu est une région montagneuse dont les sols sont emportés par l’érosion. Nous luttons, mais à quelle échelle ? Nous n’avons pas les capacités de nous substituer à l’action du gouvernement, qui est absent ; nous sommes une trop petite association. »
Des certifications multiples
« Nous sommes certifiés Fairtrade, Bio, SPP et Rainforest. Tout ça à la demande des acheteurs. Cela représente une charge importante, pour respecter les standards, pour être audité. SPP paie mieux que Fairtrade, mais nous n’avons qu’un petit marché, via Ethiquable. Fairtrade est une très bonne certification, car elle oblige les producteurs à s’organiser, et elle protège les travailleurs ainsi que l’environnement.
Cette année, nous avons produit 13 containers. Nous vendons beaucoup aux Etats-Unis, chez Café import, chez Cooperative coffee. Sur les 13 containers, 9 vont aux Etats-Unis, 3 sont achetés par Ethiquable et Oxfam nous en achète un seul. Notre station de lavage nous permet de produire toutes les qualités, même la plus élevée, la 88. Nous vendons chez Café import des micro-lots à de qualité 88. Aux USA, des consommateurs ont indiqué que le café de la Sopacdi est d’une qualité supérieure à celle de cafés éthiopiens. »
Comment faites-vous pour motiver les jeunes à travailler dans le café ?
« C’est un problème. Les jeunes voudraient tout gagner sans peine. Et ils voudraient occuper des fonctions dans lesquelles ils pourraient « abuser ». Pour pouvoir travailler pour la Sopacdi, ils doivent avoir des terres, car c’est une garantie qu’ils restent là. Vous savez, un champ de caféier, il faut l’entretenir. Mais la jeunesse instruite veut errer dans des villes, dans des centres urbains, là où ils ne gagnent presque rien. Et ils voudraient des postes dans des bureaux ou ailleurs, dans des ONG. Ce n’est que la misère qui les fait revenir. Mais si le prix du café pouvait rester au même niveau que celui où il est depuis 2 ans, beaucoup de jeunes pourraient rentrer au village et cultiver le café. »
L’histoire commune comme argument
Et Joachim de faire appel à l’histoire qui lie nos deux pays pour demander aux Belges d’acheter des produits congolais : « Il faut conduire en regardant dans le rétroviseur. Vous ne vous souvenez pas que nos parents ont participé à ce que vous êtes ? Combien de nos parents ont péri dans les fosses en exploitant les minerais ? Et vous oubliez les gens qui ont travaillé pour vous ? C’est une ingratitude ! Le préjudice que vous avez causé là-bas est impossible à réparer, mais cette histoire nous relie. Vous devez songer à nous, non pas en nous donnant de l’argent, mais en achetant nos produits. Ramenez-nous au travail ! »
Propos recueillis par Samuel Poos, coordinateur du Trade for Development Centre d’Enabel.
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Visionnez aussi le reportage d’Itinéris publié sur TV5 Monde : « Le café équitable du Kivu »