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Les cafés Javry ou la durabilité non labellisée 

Depuis bientôt 10 ans, Javry commercialise des cafés qui se veulent à la fois de qualité et respectueux des hommes comme de l’environnement. Pour y parvenir, le torréfacteur belge a fait le choix du sourcing en direct plutôt que des labels. Ambitieux, il prévoit également d’importer la moitié de son café par voilier-cargo d’ici la fin de 2025.

Depuis ses débuts en 2015, Javry nourrit la même ambition : fournir un café de qualité, responsable et abordable à ses clients, qu’il s’agisse de particuliers ou de professionnels. « Notre objectif est de faire en sorte qu’un maximum de personnes arrêtent de boire du café de mauvaise qualité, dont l’impact est néfaste sur la société et l’environnement, au profit d’un café éthique et éco-responsabl », résume Pierre-Yves Orban, cofondateur et CTO de l’entreprise de torréfaction. « Éthique, car nous croyons en une chaîne d’approvisionnement qui rémunère correctement toutes les parties et dans laquelle les personnes disposent de conditions de travail décentes. Et éco-responsable, c’est-à-dire en proposant des solutions de café dont l’impact environnemental est le plus réduit possible. »

Via sa boutique en ligne, Javry commercialise ses cafés auprès de particuliers, mais son core business est clairement orienté vers la consommation professionnelle, qui représente 80% de son chiffre d’affaires. Pour ce type de clients, la firme se propose de fournir du café évidemment, mais aussi des solutions complètes (machines et maintenance comprises) adaptées aux bureaux comptant de 20 à 200 personnes. En plus d’entreprises privées, Javry sert également une clientèle issue du secteur public, et notamment une quinzaine de communes, plusieurs cabinets ministériels, des institutions européennes, des services d’hôpitaux, etc. « Ces dernières années, nous avons constaté que les clients institutionnels se montrent de plus en plus réceptifs à nos produits », se félicite d’ailleurs Pierre-Yves Orban. « Je pense qu’un shift est en train de s’opérer, typiquement dans les marchés publics. Auparavant, ceux-ci se focalisaient énormément sur le coût ou les détails techniques de machine, alors que maintenant la plupart d’entre eux incluent une dimension sociétale, en exigeant du café labellisé Fairtrade ou bio par exemple. »

Durabilité non-labellisée

Pourtant, malgré sa démarche, Javry n’accorde pas vraiment d’importance aux labels. « Une chose qui nous différencie par rapport aux gros acteurs du marché qui se disent éthiques et équitables, c’est le fait que nous n’avons pas fait le choix des labels », explique Pierre-Yves Orban. « Nous proposons bien un certain nombre de produits labellisés bio, mais c’est simplement parce que nous travaillons avec des producteurs qui disposent du label. Nous sommes évidemment favorables à l’agriculture biologique, mais nous sommes surtout en faveur d’une agriculture raisonnée. Certaines réalités de terrains font que parfois des producteurs sont dans l’impossibilité de passer au bio. Par contre, nous sommes absolument opposés aux pratiques abusives comme l’agriculture intensive, l’abus de pesticides, la déforestation, etc. » Peut-être encore plus surprenant, Javry ne propose tout simplement aucun café Fairtrade. « Notre démarche ne consiste pas à simplement acheter un café labellisé ‘commerce équitable’ et de dire que nous pratiquons le commerce équitable. Nous avons fait le choix d’une approche dans laquelle nous sommes en contact direct avec les coopératives productrices. »

Ce contact direct passe tout de même par un intermédiaire entre Javry et les coopératives de caféiculteurs : l’entreprise française spécialisée dans le sourcing de café, Belco. « Nous travaillons uniquement avec ce partenaire de confiance, car il a la même philosophie, les mêmes valeurs et les mêmes objectifs que nous », poursuit le cofondateur du torréfacteur, détaillant au passage les multiples avantages du fonctionnement en direct. « Tout d’abord, cela évite de devoir passer par de nombreux intermédiaires qui prennent chacun une commission. Au final, nous payons le même prix, mais davantage d’argent arrive dans la poche des producteurs. Ensuite, acheter en direct permet de garantir aux caféiculteurs un prix basé sur les réalités du terrain propres à chaque région. Le niveau de vie d’un caféiculteur mexicain n’est pas du tout le même que celui d’un caféiculteur éthiopien. Dès lors, un label qui se base sur le cours de bourse de l’arabica et y ajoute une même prime, peu importe le pays producteur, cela ne nous convient pas. »

Javry négocie donc ses prix auprès de son partenaire Belco, qui lui-même négocie avec les coopératives et remplit le rôle de garde-fou. « La mentalité est de prendre en compte le coût de revient, d’éventuelles améliorations au niveau de la production, voire le financement de projets à plus long terme, en vue de produire un café de qualité qui pourra être vendu à bon prix en Europe. C’est pourquoi Belco recherche des partenaires qui sont prêts à s’inscrire dans la durée, qui disposent de la même philosophie ou qui sont prêts à faire évoluer leur fonctionnement en se tournant vers l’agroforesterie ou l’agriculture bio par exemple. Dans un univers aussi complexe que celui du café, la meilleure garantie que l’on peut avoir en termes d’éthique, de durabilité ou de rémunération correcte, c’est de travailler avec des gens de confiance, de les connaître, d’aller régulièrement à leur rencontre et d’établir une véritable relation à long terme dans l’optique de bâtir quelque chose. » De son propre aveu, Pierre-Yves Orban concède toutefois que le système est encore perfectible. « Je dirais que le suivi jusqu’aux coopératives est très bien géré. Par contre, le reporting concernant l’étape entre les coopératives et les caféiculteurs doit encore être amélioré ou en tout cas mieux cadré. Cela nous permettrait par exemple de nous assurer que tous les producteurs atteignent bien le living income, même si je pense sincèrement que c’est le cas. En tant que client de Belco, c’est aussi notre rôle de pousser pour avoir ces informations-là à l’avenir. »

À toute vapeur vers le transport à la voile

Une autre particularité de Javry est également d’importer certains de ses cafés par bateau à voile. Si jusqu’ici le torréfacteur a surtout procédé au coup par coup, important l’un ou l’autre arabica au gré des disponibilités en matière de transport, l’entreprise entend passer à la vitesse supérieure. « TOWT, l’entreprise de transport avec laquelle nous collaborons, proposait jusqu’à présent de petits transports, avec des goélettes anciennes, principalement dans le but de prouver que le modèle commercial de la voile pouvait fonctionner. Mais elle est désormais sur le point de mettre à l’eau son premier véritable cargo à voile moderne, tandis qu’un second devrait suivre plus tard dans le courant de l’année. Nous serons bientôt en capacité d’importer beaucoup plus de café, de manière bien plus fixe et surtout à un tarif tout à fait concurrentiel », se réjouit Pierre-Yves Orban. « Notre objectif est que d’ici fin 2025, nous soyons en mesure d’importer 50% de nos cafés à la voile et de les proposer au même prix que nos cafés de milieu ou haut de gamme. »

Pour parvenir à réaliser son ambition d’accélérer la consommation de café éthique et éco-responsable, le torréfacteur est cependant bien conscient qu’il reste encore pas mal de travail à faire. « Ces dernières années, nous constatons que les gens se montrent globalement plus sensibles au fait d’avoir un café de qualité. Par contre, ce shift est beaucoup moins marqué concernant les aspects écologique et sociétal. Il reste encore du travail à faire en matière de sensibilisation auprès des consommateurs par rapport à l’importance d’acheter du café durable et sur le fait que cela a un coût », estime Pierre-Yves Orban. « Néanmoins, cet intérêt accru pour la qualité est déjà un bon signe, car qui dit qualité, dit réel artisanat, réel savoir-faire, que nous pouvons valoriser et pour lequel les gens sont prêts à mettre un certain prix. » Pour le cofondateur de Javry, le consommateur a donc clairement un rôle à jouer dans la résolution des problèmes du secteur, mais pas nécessairement un rôle clé. « En posant ses choix d’achat, le consommateur envoie un signal, notamment aux grands groupes. Pourtant, je ne pense pas que la solution viendra du bas. Je pense plutôt qu’il faut des entrepreneurs éclairés, prêts à faire bouger les choses et à imposer des produits plus qualitatifs et éthiques. Enfin, j’estime que les autorités ont également un rôle primordial à jouer dans la mesure où il reste encore une énorme tranche de la population qui n’est pas du tout sensible aux questions de durabilité, et qui ne le sera peut-être jamais. Or nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre que tout le monde change de mentalité. Sinon, nous allons droit dans le mur. »

Propos recueillis par Anthony Planus pour le Trade for Development Centre d’Enabel.

Photos :
– Heading: Javry – Le café vert Ecosierra de Javry a traversé l’Atlantique à bord de la goélette “De Gallant” en mai 2020 – TOWT
– Image : Javry

 

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