Lors de la Conférence mondiale sur le cacao qui s’est déroulée à Bruxelles du 21 au 24 avril 2024, le Trade for Development Centre a pu rencontrer Yeo Yesson Moussa, directeur général de Yeyasso, située à Man en Côte d’Ivoire. Ce fut l’occasion de faire le point sur les projets de la coopérative.
Comment la coopérative a-t-elle évolué depuis l’appui du Trade for Development Centre ?
Depuis l’appui du TDC d’Enabel, la coopérative a plus de visibilité et fait son chemin. Nous avons obtenu une certification biologique pour une partie de nos fèves, ce qui nous permet d’être en discussion avec Colruyt. La chaîne de supermarchés pourrait être intéressée d’acheter de 50 à 70 tonnes par an sur une période de trois ans. Ils sont même prêts à payer le living income reference price* pour ce cacao bio.
Nous avons aussi développé un nouveau projet avec la Fondation Roi Baudouin et la Chocolaterie Galler pour étendre nos capacités de production biologique, mieux lutter contre le travail des enfants, et pouvoir être présents sur le marché du carbone. Nous avons donc commencé à référencer tous les arbres avec l’appui du professeur Doucet et d’un étudiant de l’université de Liège. Nous espérons pouvoir être actifs sur le marché du carbone en 2026.
Par ailleurs, nous installons une biofabrique pour produire de l’engrais à partir du compost, notamment pour ne plus être dépendant de l’engrais industriel et réduire ainsi nos dépenses, mais aussi pour disposer d’éléments fongiques à utiliser comme insecticide bio dans nos parcelles. Nous avons bénéficié d’une formation de la SCEB, coopérative également appuyée par le TDC, qui a expliqué à nos équipes comment utiliser l’engrais bio sur les parcelles. Nous formerons bientôt les producteurs par vague de 25 sur le site de la biofabrique, pour que chacun puisse acquérir la technicité et traiter sa propre parcelle.
Enfin, suite à l’accompagnement du TDC, nous avons aussi été en contact avec Kampani, qui va financer la construction de notre chocolaterie à hauteur de 150.000 euros.
Justement, parlons de votre projet de construction de chocolaterie, où en est-il ?
Il faut noter que la construction du bâtiment devant abriter la chocolaterie est terminé à 90%. Les 10% restants concernent la toiture.
Mario Vandeneede, de Chocolatoa, un chocolatier situé entre Bruges et Gand, nous accompagne pour faire le choix des machines à utiliser, pour la formation des équipes et le respect des conditions d’hygiène. Mario a développé à plusieurs reprises des échantillons de chocolats à partir de fèves sélectionnées et fermentées selon un protocole bien précis défini par la société Zoto. Dans le cadre de ce protocole, un certain nombre de jours de fermentation doivent être respectés, le séchage doit être très bien effectué tout en maintenant une certaine quantité de fèves humides pour préserver un certain type d’arôme.
Comment le marché du cacao évolue-t-il ?
Tout semble bien se passer pour l’industrie, mais le cacao n’est pas acheté comme il se doit aux producteurs, qui sont les plus lésés de la chaîne. Pour que le marché se porte bien, il va falloir que les industriels pensent au bien-être des producteurs. Si cela ne se fait pas, cela va être très compliqué. Il n’y a pas eu beaucoup de cabosses cette année, et le prix était très bas, ce qui fait que les producteurs seront encore plus pauvres. Si ces derniers arrêtent de produire du cacao, il n’y aura plus de chocolat. Il faut que chacun y gagne quelque chose.
Quel est le prix du cacao sur le terrain ?
Le prix officiel bord champ du Conseil Café Cacao est de 1500 FCFA par kilo. Mais vous savez que sur le marché, nous sommes dans une situation où il y a moins d’offre que de demande. Du coup, les clients sont prêts à payer plus cher et le prix a tendance à augmenter. Etant situés dans une zone frontalière, nous sommes souvent confrontés à d’autres acheteurs qui arrivent dans nos périmètres et pratiquent des prix plus agressifs, par exemple 2000 FCFA/kg, afin de s’approprier le peu de cacao disponible.
Quel est l’impact pour les coopératives d’un prix bord champs de 1500 FCFA ?
Il faut que les coopératives soient suffisamment fortes, qu’elles disposent de suffisamment de fonds pour collecter le cacao. Sinon, des collecteurs se présentent avec du liquide auprès du producteur et détournent le cacao destiné aux coopératives. Je prends un exemple : si le prix est à 1000 FCFA/kg et que la coopérative a une capacité financière de 10 millions de FCFA, elle va pouvoir récolter 10 tonnes. Si le prix est à 1500 FCFA et si elle n’a pas 15 millions en sa possession, sa capacité d’achat sera réduite. La coopérative doit donc mener des activités de sensibilisation pour développer l’esprit coopératif.
Comment percevez-vous la certification ARS-1000 ?
Cette initiative est à saluer. Si les coopératives sont certifiées, elles pourront obtenir des moyens supplémentaires. Yeyasso fait partie d’un des projets pilotes pour tester la certification. Ces projets étudient entre autres les disparités entre des coopératives certifiées par Rainforest Alliance ou Fairtrade et des coopératives non certifiées. Une coopérative déjà certifiée selon les normes privées aura beaucoup plus de chances d’être certifiée ARS-1000. Je pense que cela ne sera pas trop compliqué pour nous.
L’ARS-1000 évalue les réalités économique, sociale et environnementale de la coopérative. Les coopératives devront par exemple planter de 25 à 40 arbres par hectare dans les parcelles et s’engager à produire dans un contexte agroforestier. Les projets pilotes étudient également les rendements des parcelles pour voir ce qui pourrait y être amélioré.
L’ARS-1000 prévoit trois niveaux de coopératives : bronze, argent et or. Une coopérative « or » sera à 100% conforme à la norme. Yeyasso atteint pour l’instant un taux de conformité de 83%. Les audits définitifs, réalisés par des cabinets comme Ecocert, Control Union, Veritas ou SGS, pourraient être réalisés fin mai ou en juin. Nous pourrions alors être certifiés ARS-1000.
Pourquoi est-ce pertinent pour Yeyasso d’être présent à la Conférence mondiale du cacao ?
C’est important pour Yeyasso d’être présent dans les grands événements du secteur du cacao pour se rendre visible, avoir son mot à dire et porter la voix des producteurs. Nous sommes dans le programme de la conférence dont le thème est “payer plus pour un cacao durable”. En Côte d’Ivoire, le nouveau prix de 1500 FCFA par kilo est une bonne base pour discuter et parvenir à un cacao durable. On ne peut pas parler de durabilité sans y mettre le prix. Si on demande aux producteurs de faire plus d’efforts sans qu’ils soient compensés financièrement, cela n’a pas de sens. La durabilité et le prix sont la face et le revers d’une même pièce.
Propos recueillis par Samuel Poos, coordinateur du Trade for Development Centre
* Le “living income reference price” (prix de référence du revenu décent) est le prix du cacao permettant aux producteurs de recevoir un revenu suffisant pour subvenir à leurs besoins fondamentaux et à ceux de leur famille. En 2022, Fairtrade International a fixé ce prix à 1602 FCF/kg bord champ en Côte d’Ivoire.
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