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Un tournant politique au Parlement européen met en péril la loi sur la protection des forêts

Le Parlement européen a voté ce 14 novembre la proposition de la Commission de retarder de 12 mois la mise en œuvre du règlement de l’UE sur la déforestation (RDUE – EUDR)1, dont l’application était initialement prévue pour le 30 décembre 2024. Le règlement, qui oblige les entreprises à vérifier que leurs produits sont exempts de déforestation et conformes aux lois nationales, a fait l’objet d’amendements importants proposés par le Parti populaire européen (PPE), qui, selon les critiques, pourraient nuire à l’efficacité du règlement.

Les principaux amendements et leurs implications

L’un des changements les plus controversés est l’introduction d’une catégorie de pays « sans risque ». Cet amendement exempterait certains pays des contrôles de conformité, ce qui permettrait potentiellement aux produits liés à la déforestation d’entrer sur le marché de l’UE sans contrôle. Des organisations environnementales, dont Greenpeace (2) et le WWF (3), ont exprimé de vives inquiétudes quant à la possibilité d’affaiblir les efforts de protection des forêts et de contribuer à la poursuite de la dégradation. Elle crée une forte incitation au contournement en permettant à des produits provenant de pays à haut risque d’entrer en Europe par l’intermédiaire d’un « pays sans risque », ce qui compromet totalement l’utilité du RDUE.

Lors d’une conférence de presse qui a suivi le vote (4), Christine Schneider, la députée européenne qui a déposé les amendements au nom du PPE, a laissé entendre que cette faille avait été spécialement conçue pour aider les États membres de l’UE. Comme il s’agit d’une discrimination à l’encontre des pays forestiers tropicaux, cette question sera sans aucun doute débattue à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ce qui nuira gravement à la crédibilité internationale de l’UE et attisera les tensions avec ses partenaires commerciaux.(5)

Un autre problème majeur est le changement proposé dans la manière dont les pays sont évalués pour le risque de déforestation. Les nouveaux critères se concentrent sur le « développement des zones forestières » plutôt que sur l’état réel des forêts. Ce qui signifie que les pays pourraient potentiellement échapper à l’examen, même s’ils s’engagent dans des pratiques préjudiciables aux forêts primaires. Si les forêts primaires – qui sont essentielles au stockage du carbone et à la protection de la biodiversité – sont coupées et remplacées par des monocultures d’arbres, le RDUE ne s’appliquera pas.(6)

Les pressions exercées par le PPE pour obtenir des changements reflètent un changement dans les alliances politiques, avec le soutien des groupes de droite, considérés comme donnant la priorité aux intérêts économiques plutôt qu’aux garanties environnementales. « Le RDUE a été pris en otage par des forces conservatrices déterminées à montrer qu’elles détiennent désormais le pouvoir au Parlement : une alliance de droite prête à sacrifier les forêts pour un gain politique », a déclaré Julia Christian, chargée de campagne à Fern.

Réactions des entreprises et des milieux politiques

Les modifications ont suscité l’ire des entreprises et des défenseurs de l’environnement. De nombreuses entreprises qui ont investi massivement pour se conformer au règlement original sont maintenant confrontées à l’incertitude due à ces changements. Les parties prenantes avertissent que la modification de parties essentielles de la loi pourrait perturber les investissements et créer des conditions de concurrence inégales sur le marché.

Prochaines étapes

Les colégislateurs ont jusqu’à la mi-décembre pour trouver un terrain d’entente, la réglementation devant entrer en vigueur fin décembre 2024. Jusqu’à présent, le Conseil a clairement indiqué qu’il n’approuverait la position du PE que si ce dernier avait adopté la proposition de la Commission sans aucun amendement.(7) Au fur et à mesure que la situation évolue, tous les regards se tournent vers la Commission européenne. Elle a la possibilité de retirer sa proposition de retarder la mise en œuvre du RDUE afin de maintenir le calendrier et les normes initiales du règlement si elle estime que les amendements du Parlement vont trop loin. Les groupes de défense de l’environnement appellent à une action immédiate pour maintenir le calendrier initial du règlement, soulignant que tout retard compromettrait davantage les efforts de conservation des forêts au niveau mondial. A l’heure actuelle, la date d’application du RDUE reste le 30 décembre 2024.

Alors que le RDUE avait été salué comme une loi environnementale historique visant à lutter contre la déforestation, les récentes manœuvres politiques menacent de diluer son impact de manière significative. L’issue de cette bataille législative aura de profondes implications non seulement pour les forêts, mais aussi pour les efforts mondiaux de lutte contre le changement climatique et de protection de la biodiversité.

Pour en savoir plus sur le RDUE :

1. (EU) 2023/1115
2. Greenpeace, Vote sur l’EUDR : Greenpeace s’indigne face au report et au détricotage de la législation forestière de l’UE, 14 novembre 2024.
3. WWF, EPP with support of far right dismantles EU Deforestation Regulation in an attack on forests and climate, 14 novembre 2024.
4. Groupe PPE, LIVE: Press conference – Deforestation Law: Make it fit for purpose.
5 and 6. FERN press release, EU’s groundbreaking deforestation law sabotaged by the European Parliament, 14 novembre 2024.
7. https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-14579-2024-INIT/en/pdf

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