Depuis une vingtaine d’années, la marque Ethiquable propose de nombreux produits alimentaires, dont du chocolat et du café, issus du commerce équitable et de l’agriculture bio, mais en suivant sa propre éthique, ce qui la pousse à aller au-delà des standards pourtant déjà élevés de ces filières.
Créée en France en 2003 autour de quelques denrées emblématiques du commerce équitable comme le café et le cacao, la marque Ethiquable se décline désormais en de nombreux produits et dans plusieurs pays, dont la Belgique où une coopérative sœur a été fondée en 2009 par Vincent De Grelle et Stephan Vincent. « Si à nos débuts, nous avons surtout commercialisé les produits français, nous nous sommes par la suite progressivement mis à développer nos propres produits belges, mais tout en conservant ce partenariat très étroit avec la France qui reste en quelque sorte dépositaire de la marque », explique le premier cité des deux cofondateurs d’Ethiquable Benelux. Webshop, magasins bio et même grande distribution via la marque Terra Etica, la marque éthique est par ailleurs également présente sur de nombreux canaux de vente, en ce compris le B2B au travers de partenariats avec certains acteurs institutionnels ou de l’horeca. Tout cela fait qu’au total, les différentes coopératives sœurs Ethiquable (France, Benelux, Espagne…) écoulent chaque année plusieurs dizaines de millions d’articles pour un chiffre d’affaires cumulé de l’ordre d’une septantaine de millions d’euros.
Quatre piliers
Comme son nom invite bien sûr à le penser, Ethiquable accorde une importance déterminante à l’éthique et à l’équité dans sa démarche, mais pas seulement. En réalité, sa philosophie se fonde sur quatre piliers principaux. « Le premier, c’est de ne travailler qu’avec des coopératives de petits producteurs, un peu partout dans le monde, en partant du constat que le fossé entre agriculture industrielle et agriculture familiale se creuse toujours plus », poursuit Vincent De Grelle, par ailleurs ingénieur agronome de formation. « L’un des enjeux majeurs pour les années à venir sera de parvenir à préserver cette agriculture paysanne, car elle est le garant de la préservation d’un savoir-faire, d’un mode de gestion, d’une certaine biodiversité, de la santé des sols ou encore de la qualité de l’eau. »
Cette préoccupation envers l’environnement se traduit dans le second pilier de la philosophie d’Ethiquable, à savoir la promotion et le soutien de la polyculture et de l’agroforesterie. « Quand sur une même parcelle, au lieu de pratiquer la monoculture, vous avez du café, du cacao, des bananes, des mangues, des arbres pour faire du bois, du manioc, etc. vous mettez en place une diversité cultivée, qui à son tour va entraîner une biodiversité naturelle importante, en plus d’un réseau racinaire favorisant une meilleure rétention du sol, et ce, dans des régions où la pluviométrie devient toujours plus problématique à cause du réchauffement climatique. In fine, cela permet donc de maintenir la fertilité des sols au lieu d’entraîner leur appauvrissement. »
Un commerce équitable, vraiment équitable
De là découle naturellement le troisième pilier sur lequel se fonde la philosophie d’Ethiquable : l’agriculture biologique. « Tous nos produits sont certifiés bio », confirme en effet Vincent De Grelle. « Et je dirais même que nous allons plus loin que ce qui est exigé par le cahier des charges du label bio. Nous avons, par exemple, aidé plusieurs de nos coopératives partenaires à ne plus être dépendantes d’engrais organiques extérieurs. Comment ? En les aidant à fabriquer eux-mêmes leurs fertilisants à partir du substrat de la forêt locale, qui comprend suffisamment d’éléments insecticides ou herbicides naturels pour y parvenir. Ce savoir-faire a d’abord vu le jour au Pérou, dans ce que nous appelons des biofabricas, puis il a progressivement été transféré à d’autres producteurs en Équateur, en Côte d’Ivoire, etc. Et ce, selon le principe de l’apprentissage par les pairs, c’est-à-dire de paysans à paysans. »
Enfin, dernier pilier essentiel du projet d’Ethiquable, et non des moindres : le commerce équitable. Et pas n’importe quel commerce équitable puisque la marque éthique a fait le choix dès ses débuts d’adhérer au label SPP (Symbole Producteurs Paysans). « Au début des années 2000, des producteurs du Sud sont arrivés à la conclusion qu’ils ne se reconnaissaient plus dans le label Fairtrade, qu’ils n’y étaient pas suffisamment représentés ou entendus et qu’il était devenu surtout un label de revendeurs européens, focalisé sur les grands flux de produits généralistes et que toute une série de produits n’étaient pas pris en compte. Ils ont donc décidé de créer leur propre label », raconte encore le cofondateur d’Ethiquable Benelux. « Nous les y avons encouragés car il s’agissait d’en faire un label favorisant l’agriculture familiale et coopérative, ce qui fait justement partie de nos piliers. Et en prime, le label va également bien plus loin en termes de financement, le prix minimum SPP étant bien plus élevés et couvrant beaucoup plus de postes de coût que celui proposé par Fairtrade. » De là à signifier que les producteurs de cette filière atteignent systématiquement le living income ? « C’est en effet un critère qui est pris en compte au moment de fixer le prix minimum. Honnêtement, il ne s’agit même pas d’un enjeu pour nous. L’ensemble des producteurs de notre filière atteignent le living income et le dépasse même. » Et en complément de ce prix minimum, une prime supplémentaire est encore versée aux coopératives en elles-mêmes afin qu’elles puissent financer les projets économiques ou sociaux de leur choix, sans oublier en sus une prime bio.
(R)amener de la valeur ajoutée dans le Sud
En outre, le commerce équitable comme l’entend Ethiquable passe également par la volonté d’essayer d’amener ou de ramener un maximum de valeur ajoutée dans les pays producteurs, c’est-à-dire en faisant en sorte que le plus possible de produits soient transformés sur place par les coopératives. « Bien souvent, quand on parle de commerce équitable, on pense à l’achat de matières premières à un prix juste », constate Vincent De Grelle. « Chez Ethiquable, nous avons toutefois l’ambition d’aller plus loin. En achetant un produit déjà transformé, la valeur ajoutée ainsi créée reste chez le producteur, ce qui fait que le prix payé est encore plus juste. De plus, cela engendre également une forme de réappropriation de la chaîne de production par les producteurs eux-mêmes. Par conséquent, au plus un producteur est capable d’aller loin dans le processus de fabrication et de se rapprocher du produit fini, au mieux c’est, selon nous. » Dans la filière cacao, cela va notamment se traduire par le fait qu’Ethiquable essaie de plus en plus d’importer de la masse de cacao – c’est-à-dire des fèves torréfiées, broyées et exportées sous la forme de bloc – et non plus des fèves séchées. « Je pense que nous sommes les seuls actuellement à faire cela. Nous avons, dans un premier temps, travaillé là-dessus avec des producteurs au Pérou et maintenant nous étendons cela au Guatemala. Mais nous ne comptons pas nous arrêter en si bon chemin. À l’avenir, nous ambitionnons de développer des projets similaires en Haïti, à Madagascar et même en Côte d’Ivoire. » Pour le café par contre, la même démarche est moins évidente dans la mesure où il doit idéalement être consommé assez rapidement après torréfaction pour conserver tous ses arômes, raison pour laquelle ce procédé continue à être réalisé en Europe. « Mais il est de toute manière séché, dépulpé, déparché, etc. sur place, mais cela vaut pour tous les acteurs du secteur. Ce qui est par contre intéressant, c’est que certains de nos partenaires ont tout de même entretemps développé des capacités de torréfaction, avec notre soutien, ce qui leur donne désormais la possibilité de commercialiser leurs produits sur le marché local. »
En cumulant les deux filières, cacao et café, Ethiquable collabore ainsi avec une bonne vingtaine de coopératives dans autant de pays, principalement d’Amérique du Sud et d’Afrique. « Tous les paiements aux producteurs sont gérés par la France », précise encore notre interlocuteur. « Nous analysons nos besoins, puis nous passons par la France afin de mutualiser nos achats auprès des coopératives. Grâce à ce mode de fonctionnement, nous pouvons réaliser des économies d’échelle assez conséquentes. Et bien entendu, Ethiquable France met en place tous les gardes fous nécessaires pour s’assurer que les coopératives reversent bien l’argent à leurs membres et que toutes les opérations se déroulent comme elles le doivent, ce qui est essentiel. » Des quatre coins du monde, cacao et café arrivent ensuite en France afin d’y être transformés en produits finis. « Nous sommes propriétaire de notre propre chocolaterie, dans le Gers, ce qui a tout de même représenté entre 20 et 30 millions d’euros d’investissement. Nous y produisons nos tablettes et le chocolat de couverture destiné à nos clients chocolatiers à partir de la masse de cacao qui nous arrive en direct des producteurs ou bien de celle qui est transformée à partir des fèves par un intermédiaire néerlandais. Et en ce qui concerne le café, il existe deux flux. Dans le premier, le café vert arrive au Havre et nous le faisons venir chez un torréfacteur belge qui le torréfie pour nous. Dans le second, qui concerne la marque Terra Etica, les grains de café sont torréfiés en France, dans les installations de Café Michel, qui depuis peu est entièrement intégré à Ethiquable. D’ailleurs, Café Michel est en passe d’être totalement refondu en Terra Etica. »
« Le politique a un rôle d’exemplarité à avoir en achetant des produits équitables »
Le revers de la médaille pour la philosophie d’Ethiquable, c’est que la marque se retrouve en permanence sur le fil du rasoir entre des critères et standards élevés (et donc coûteux) en matière de durabilité au sens large et des prix qui doivent néanmoins rester un minimum concurrentiels par rapport à ceux pratiqués par les autres acteurs du secteur, une problématique encore exacerbée par la forte sensibilité actuelle des consommateurs par rapport au prix. « Nous estimons que quand un produit est trop bon marché, c’est qu’il y a forcément quelqu’un qui paie la différence, que ce soit le producteur, l’environnement ou le consommateur », souligne Vincent De Grelle. « Par conséquent, nous nous efforçons en permanence de proposer des produits qui comportent un prix juste pour le producteur, avec un impact minimal pour l’environnement et qui soient de qualité pour le consommateur. Mais tout cela est bien sûr un cheminement. Nous ne prétendons pas avoir des produits qui sont absolument irréprochables, mais nous nous y efforçons. Et cela a un coût, un coût que le consommateur n’est pas toujours prêt à payer. Bien sûr, il est normal que le consommateur soit attentif au prix. Mais je l’invite également à s’interroger sur la part qu’occupe l’alimentation dans son budget global par rapport à d’autres postes de dépenses. Et puis, il convient également de regarder les étiquettes. Les gens ne le savent pas toujours, mais le premier ingrédient qui figure sur l’étiquette est toujours celui qui est le plus présent dans le produit en pourcentage et ainsi de suite. Simplement se poser la question de savoir ce que l’on mange vraiment, c’est déjà un pas dans la bonne direction. »
Par contre, Vincent De Grelle se montre bien moins indulgent au moment d’évoquer la consommation dans le chef des consommateurs ‘institutionnels’. « Le politique a clairement un rôle d’exemplarité à adopter en achetant des produits issus du commerce équitable », estime-t-il. « Encore aujourd’hui, cela reste très compliqué de rentrer dans un marché public pour vendre nos produits… Le prix demeure un critère essentiel. Nous avons bien signé quelques contrats avec l’une ou l’autre administration, mais cela reste très anecdotique. Au-delà de ça, je trouve que le politique a également la responsabilité de mieux communiquer sur ces questions de durabilité et d’équité, et ce, de manière systématique, pas simplement à la marge. Mais surtout, il a le devoir de mettre en place un cadre qui favorise et encourage une agriculture respectueuse des producteurs et de l’environnement. »