Avec ses pralines 100% bios, équitables et artisanales, Xavier Declercq, artisan chocolatier fondateur de Xocolate, fait le bonheur des gourmets gourmands de la capitale, soucieux de se faire plaisir de manière plus responsable.
Après 33 années passées à occuper différents postes au sein d’Oxfam Solidarité, Xavier Declercq a pris la décision de réorienter radicalement sa carrière. Un break de six mois et quelques formations plus tard, le voilà devenu sur le tard artisan chocolatier et à la tête de son propre atelier-magasin, ouvert fin 2018 à Schaerbeek et baptisé Xocolate. « Avant de me lancer, j’ai pesé les pours et les contres… et il n’y avait pour ainsi dire que des contres », se remémore-t-il. « Comment imaginer, en effet, parvenir à se lancer avec succès dans pareil secteur, au sein d’une ville et d’un pays qui font pratiquement office de capitale mondiale du chocolat ? La seule chose qui me différenciait un tout petit peu, c’est que je voulais développer une activité commerciale sur base des mêmes valeurs que celles qui m’animaient déjà chez Oxfam. Cela signifiait adopter un positionnement éthique tout au long de la chaîne, au niveau social comme environnemental. C’est pourquoi j’ai choisi de travailler de façon totalement artisanale, avec des produits qui respectent les principes du commerce équitable et de l’agriculture biologique. Toutefois, c’était aussi une source d’anxiété supplémentaire puisque cela impliquait de recourir à des ingrédients qui sont logiquement bien plus chers. »
Un chocolat « éthiquable »
Pour confectionner les plus de 3 tonnes de pralines qui constituent sa production annuelle, Xavier Declercq s’approvisionne en chocolat de couverture auprès d’Ethiquable (lire notre article consacré à la coopérative). « Le chocolat avec lequel je travaille est toujours le même. Il est fabriqué par Ethiquable, dans ses installations françaises, à partir de fèves de cacao achetées en direct auprès de la coopérative haïtienne Feccano. Je fais confiance à Ethiquable car non seulement je les connais depuis de nombreuses années, mais surtout, je suis en phase avec leur manière de pratiquer le commerce équitable et j’apprécie leur transparence. Ethiquable ne met pas la pression sur les producteurs en négociant sans cesse les prix à la baisse. Sa logique n’est pas purement mercantile. La coopérative ne dépense pas non plus trop d’énergie dans une kyrielle d’initiatives annexes. Son core business, c’est de faire du commerce, mais de manière équitable et éthique envers les producteurs. Ses représentants auprès des producteurs ne commencent pas à dire ‘Si vous faites ceci, c’est 50 dollars de plus, si vous faites cela, c’est 25’. C’est beaucoup plus transparent : le prix, c’est le prix, et ils laissent les gens travailler, en leur fournissant parfois de l’expertise lorsque c’est nécessaire, mais jamais en tant que contrepartie obligatoire ou préalable. Autre exemple de leur professionnalisme : les meilleures analyses que j’ai pu lire sur le secteur du cacao émanaient d’Ethiquable France. » Outre le chocolat, les fourrages constituent l’autre élément indispensable des pralines. Et là encore, Xavier Declercq applique son même triptyque éthique. « La majeure partie des fillings, c’est moi qui les fais, mais pour certains, je me suis allié aux ‘Potjes d’Eugène’, un autre petit producteur artisanal qui est spécialisé dans tout ce qui est caramel beurre salé, pâte de noix, etc., et qui bien sûr respecte les mêmes standards et la même philosophie. »
« Toujours pas de législation encadrant le commerce équitable »
Crise covid, crise énergétique, crise des matières premières, crise du pouvoir d’achat, crise du cacao… À l’exception d’une première année placée sous le signe de l’expérimentation et du lancement progressif des activités, la suite du parcours de Xocolate a été, jusqu’à présent, loin d’être un long fleuve tranquille. Pourtant, malgré les difficultés et les embûches, la petite entreprise est toujours debout, ce qui constitue déjà une belle réussite en soi, et a même été récompensée par un titre de « découverte de l’année 2022 pour la Belgique » par Gault&Millau dans la catégorie consacrée aux chocolatiers. « Si je survis, c’est parce que je me situe dans une niche », avance Xavier Declercq. « Nous ne sommes pas si nombreux à produire de façon artisanale, équitable et bio. Trois éléments qui sont, je pense, assez importants aux yeux du public d’aujourd’hui. » Mais outre les crises successives des dernières années et les challenges économiques qui caractérisent le secteur, Xavier Declercq regrette que les petits chocolatiers éthiques doivent encore faire face à bien d’autres difficultés. « Déjà, l’environnement réglementaire en Belgique n’est pas bon », dénonce-t-il. « Le régulateur n’organise rien, ne prévoit rien pour une production plus durable, au niveau environnemental comme social. De manière générale, rien n’est prévu pour un commerce équitable. Nous n’avons toujours pas de législation encadrant le commerce équitable. Et il n’y a toujours pas, en 2024, une niche fiscale spécifique pour le commerce équitable. C’est tout de même grave. À cet égard, le niveau politique porte une lourde responsabilité, mais il n’est pas seul en cause. Par exemple, les organisations de commerce équitable sont-elles suffisamment actives dans leur plaidoyer auprès des autorités belges sur ces sujets ? La responsabilité est certainement partagée… »
Autre difficulté à laquelle doivent se frotter les petits artisans qui se veulent éthiques : parvenir à sensibiliser les consommateurs, quels qu’ils soient, à cette question. « Il y a une conscience croissante dans le chef du public, mais le prix continue à constituer un frein », constate Xavier Declercq. « Mon chocolat est plus cher que le tout-venant, ce qui ne l’empêche pas d’être meilleur marché que certains non bios et non équitables, mais passons. Il y a une conscience accrue de l’importance de respecter toutes les phases dans la chaîne, mais cette conscience n’est pas assez grande, je pense. Certes, il y a la crise économique, le pouvoir d’achat, etc., il y a plein de raisons qui justifient cela. Mais au final, il n’y a tout simplement pas encore assez de gens qui sont sensibilisés à la problématique. »
« Le marché de l’équitable doit absolument croître »
Main d’œuvre plus chère, rendements plus faibles… Plusieurs des raisons qui expliquent le prix plus élevé des produits équitables et bios sont largement connues, mais il en est d’autres qui le sont moins, tient aussi à mettre en lumière le fondateur de Xocolate. « Pour les artisans, faire du bio, par exemple, entraîne un surcroit de travail et de coûts pour obtenir la certification, alors que ceux qui ne sont pas bios n’ont juste rien à faire ni à dépenser. Ce n’est vraiment pas normal. Et en ce qui concerne les producteurs, se convertir au bio ou à l’équitable, représente des années d’investissement, de réorganisation du travail, ce sont des batteries de critères auxquels ils doivent répondre, et tout cela a un coût. Et puis, et c’est un point très problématique, il faut bien se rendre compte que ces producteurs ne sont souvent même pas en mesure d’écouler toute leur production équitable et/ou bio aux prix du commerce équitable ou du bio, et ce, pour la simple et bonne raison que la filière n’est toujours pas capable d’absorber l’ensemble de la production. » En d’autres termes, cela signifie que les prix de l’équitable et du bio sont aussi poussés vers le haut par le fait qu’ils doivent compenser la part de la production qui doit être écoulée dans les filières conventionnelles. « D’où l’importance de promouvoir les initiatives de commerce équitable, de sensibiliser les organisations, les autorités publiques, les consommateurs individuels, toute la société dans son ensemble, pour bien faire comprendre que le marché éthique doit absolument croître pour pouvoir fonctionner comme il se doit », conclut Xavier Declercq.
Anthony Planus pour le compte du Trade for Development Centre d’Enabel.