Au Burundi, Denise Nzeyimana et Adélard Nkeshimana dirigent IDEP, une entreprise productrice d’huile de tournesol. Depuis 2017, l’entreprise est coachée par le Trade Development Centre, un programme d’Enabel, l’Agence belge de développement. Retour sur une expérience entrepreneuriale et ses progrès impressionnants.
Bienvenue à Bujumbura, capitale économique du Burundi. La ville située au bord du Lac Tanganyika, un des plus profonds au monde, a connu un boom démographique considérable : estimée à 60.000 habitants en 1962, Bujumbura compte désormais plus d’un million d’habitants. Une population essentiellement jeune et entreprenante, dont font indéniablement partie Denise Nzeyimana et Adélard Nkeshimana.
Une culture à inventer :
En 2013, ils fondent IDEP afin de produire une huile végétale de qualité : “Au Burundi, on a vu augmenter les maladies liées à la malnutrition ou à une mauvaise alimentation : hypertension, diabète et maladies cardio-vasculaires. À l’époque, il n’existait qu’une petite unité de transformation d’huile de tournesol au Burundi, celle de Mutwenzi à Kirundo, dans le nord du pays. Je me suis dit que l’introduction de la culture de tournesol pourrait réduire la malnutrition et les maladies qui y sont associées. Il fallait créer un marché car la quasi-totalité de l’huile de tournesol était à l’époque importée”, nous explique Adélard.
Tout est donc à inventer : “Au moment de la création de notre entreprise, nous nous étions fixés plusieurs défis : d’une part, trouver des sources d’approvisionnement sûres et saines pour nos huiles de tournesol ainsi que pour les emballages et, d’autre part, acheter de bons équipements pour transformer une huile qui puisse se défendre sur le marché”, énumère Adélard. Le couple, dans la vie comme dans le travail, se lance sur plusieurs fronts : “Il fallait acheter les récoltes des rares cultivateurs, mais surtout vulgariser et favoriser la production de l’huile et du tourteau de tournesol. De l’autre côté de la chaîne, nous avons recherché un marché pour ces produits et organisé la livraison jusqu’à nos clients.”
Le tourteau est le résidu obtenu après le pressage de l’huile : “Il n’est pas encore très connu au Burundi, mais c’est un très bon complément alimentaire pour le bétail. Je l’ai essayé sur les veaux et les vaches laitières et le résultat a été une amélioration de la santé et de la croissance des petits, ainsi qu’une amélioration de la santé et du goût du lait chez les vaches. Il doit y avoir beaucoup d’autres vertus non encore explorées”, commente Adélard.
Assez rapidement, leurs efforts paient : “Nous avons pu étendre la culture du tournesol dans d’autres provinces du Burundi, à Gitega et Muyinga, en collaboration avec des agriculteurs. Nous avons également vulgarisé la culture du moringa avec lequel nous produisons de l’huile, de la poudre et du savon et que nous vendons sur le marché local. Nous exportons également les graines de moringa vers l’Ouganda”, explique Adélard.
Pour l’entrepreneur, la culture du moringa est complémentaire à celle du tournesol : “Le moringa est un très puissant complément alimentaire et préventif de beaucoup de maladies. Tous ses produits (la feuille, la graine, la poudre, l’huile et le savon) sont comme des médicaments naturels sans effets secondaires. J’incite les associations d’agriculteurs à en planter pour clôturer leurs propriétés et pour reforester les collines vides et ainsi avoir une source de revenu complémentaire. Mais, le marché doit encore mûrir pour pérenniser sa culture.”
Quand l’économie s’effondre :
Mais en 2015, une crise politique secoue le pays. L’économie s’effondre : “Nous avons vu notre chiffre d’affaires passer de 141 millions de francs burundais (fbu) en 2014 à 62 millions de fbu en 2015 (NDLR : c’est-à-dire de +/- 69.000 euros à +/-30.000). Il nous a fallu trois ans pour rattraper le niveau de 2014”, explique le couple contraint un temps de quitter Bujumbura pour l’Ouganda où il recommence de zéro, tout en tentant de garder ses activités au Burundi.
Les producteurs d’huile de tournesol burundais n’ont pas été épargnés non plus : “Eux aussi ont connu les mêmes problèmes. Le prix du tourteau est passé de 700 fbu le kg à 450 fbu, avec beaucoup de retard de paiement.” Les taxes augmentent alors que les prix suivent la tendance inverse. “L’importation des emballages a aussi été compliquée en raison des mauvaises relations avec le Rwanda. Les perspectives d’exporter notre huile de tournesol et nos produits à base de moringa sont gelées avec ce pays voisin”, complète Adélard.
Un coaching “qui nous a ouvert les yeux” :
Arrive début 2017 la belge Valérie Vangeel, coach du TDC, qui a pour mission d’accompagner IDEP. “Moi, je suis ingénieure commerciale de formation et j’ai lancé ma propre société de conseils. Par le passé, j’ai travaillé dans le marketing et la vente pour une grosse entreprise commerciale et chez Amnesty comme directrice financière”, explique Valérie. “Cette mission, c’est un peu le mariage de ces carrières. On ne vient pas en tant que consultant mais comme coach. On n’est pas là pour dire ce qu’il faut faire, on fait plutôt du développement de compétences. La question est : comment s’assurer après un appui de trois années, que celui-ci est pérenne ? Mon objectif est de les aider à réfléchir par eux-mêmes à la problématique”, résume-t-elle.
L’approche participative du TDC est vraiment appréciable pour Adélard : “Il est beaucoup plus aisé de mémoriser des informations que vous avez vous-même produites en y réfléchissant avec votre coach. Je trouve l’approche très bonne. Et pour une référence théorique, on peut toujours trouver sur Internet.”
En février 2017, la première rencontre entre Denise, Valérie et Adélard se déroule déjà en-dehors du Burundi où les Belges ne sont pas les bienvenus : “Quand je les rencontre plus tard en Ouganda, lors du deuxième module de coaching, on se met directement au travail. Nous parlons de concepts de marketing que nous essayons d’appliquer à leur situation : analyses du marché, des concurrents, des besoins des consommateurs, des avantages des produits, etc.”, raconte Valérie. “Puis, nous travaillons la mise en application avec du matériel de communication que l’on imagine ensemble : prospectus, émissions radio, etc. L’huile de tournesol coûte plus cher que les autres huiles, il faut donc une vraie sensibilisation par rapports à ses bienfaits si on veut un acte d’achat”, prévient la coach.
“Le coaching nous a ouvert les yeux sur beaucoup de choses que nous ne voyions pas”, affirme Adélard, “Nous nous sommes rendu compte que nous pouvions vendre 30 fois plus sur le même marché grâce à une bonne conception des étiquettes, des dépliants, des affiches, des panneaux publicitaires, grâce à la participation aux foires, à des émissions radio et télé ou à des tournées de notoriété, bref, grâce à une bonne présentation qui donne envie de découvrir un produit de qualité.” À présent, ils travaillent en parallèle sur les deux pays, Burundi et Ouganda, avec l’aide d’un associé à Bujumbura.
Des progrès déjà bien visibles :
“Le travail d’analyse que nous avons fait ensemble prend du temps”, reconnaît Valérie, “On regarde les chiffres de vente par produit et on se demande quels sont les bouteilles qui se vendent le mieux et aussi qui sont les clients principaux. En l’occurrence, on s’est dit qu’on allait se concentrer sur les bouteilles de petites quantités et on a fait une liste des clients prioritaires : les habitants de Bujumbura, les personnes âgées, celles avec des revenus moyens et élevés et celles avec des problèmes cardio-vasculaires. C’est un boulot qui prend une bonne semaine. La plupart des petites entreprises, où qu’elles soient dans le monde, ne prennent pas le temps de faire ça. Mais quand l’analyse est bien faite, le reste sera simplement du suivi. On se voit cinq fois en trois ans pour continuer la discussion stratégique.”
Assez rapidement, les progrès se font sentir : “On a vraiment vu l’évolution”, s’enthousiasme Valérie, “De 63 millions de chiffre d’affaires en 2016, IDEP est passé à 90 millions en 2017. C’était déjà une belle reprise. Et là, en 2019, ils devraient se situer autour des 190 millions. Ils ont réussi à se différencier par rapport à leurs concurrents. La campagne à la radio burundaise a très bien marché aussi. Après leur passage sur antenne, leur bureau-boutique a été assiégé de clients !”
Adélard et Denise ne peuvent que se réjouir : “Grâce à l’appui du TDC, nous sommes maintenant à même de faire le marketing de nos produits. Actuellement, nous vendons l’huile et le tourteau de tournesol, ainsi que l’huile, la poudre et le savon de moringa sur le marché burundais, et nous visons les marchés ougandais, congolais, rwandais et kenyan avec ces produits. En Ouganda, où nous vivons à présent, nous produisons et vendons de l’huile et le tourteau palmiste”, raconte Adélard. Valérie salue cet esprit entrepreneurial qui leur a permis de repartir de zéro en Ouganda : “Pour démarrer l’huile palmiste, ils ont mis en pratique tout ce qu’ils avaient appris dans l’huile de tournesol et le moringa. Les mêmes réflexes sont apparus. C’est impressionnant : ils visent déjà les 200 tonnes et travaillent avec mille palmistes.”
Une entreprise privée familiale réellement impliquée socialement :
Où en sont-ils au niveau des certifications ? “Nous avons le certificat de qualité du Bureau Burundais de Normalisation (BBN), exigé pour le marché local et régional. Mais nous avons mis la recherche des certificats internationaux bio en attente car ceux-ci sont trop chers. Même si, il faut le reconnaître, les certificats internationaux donnent l’accès au marché international plus rémunérateur.” Mais obtenir ces certificats est bien dans leurs intentions à long terme : “C’est pour cette raison que j’ai commencé à m’investir dans le moringa. Nous avons aussi en projet dans l’avenir l’exportation d’autres produits comme le café, la vanille et le cacao.”
Ce qui est sûr, c’est que dans toutes leurs initiatives, Denise et Adélard ont une idée fixe : mieux rétribuer les agriculteurs avec qui ils travaillent. “Chez eux, la discussion sur le commerce équitable est permanente”, témoigne Valérie. “IDEP, c’est une entreprise familiale privée, mais qui partage les valeurs d’une coopérative. Ce qui signifie qu’ils ont une réelle démarche commerciale (avec de bons réflexes sur la livraison, les délais, par exemple) et à la fois la responsabilité sociale vis-à-vis des agriculteurs. Ils ont su tisser des relations de confiance et être à leur écoute.”
En guise de conclusion, Valérie pense qu’en tant que programme de l’Agence belge de développement, le TDC a visé juste : “IDEP est cas d’école où on peut avoir une valeur ajoutée. Les coopératives ont accès à d’autres subsides, mais il y a moins d’aides pour les petits entrepreneurs et les PME. C’est là que le TDC a et pourrait avoir plus de valeur ajoutée et faire la différence.”