Arrière-petit-fils d’un colon belge, Charles Ndabazaki Schafrad, 39 ans, bénéficie d’une concession d’une centaine d’hectares à Nioka, dans le district d’Ituri qui forme le «coin» nord-est de la République Démocratique du Congo (RDC), à la frontière de l’Ouganda. Depuis son enfance, il cultive sa terre ancestrale. Mais en 2004, à cause de la guerre civile, il a dû se résoudre à se réfugier en Ouganda avec sa famille. Là, afin de survivre, il travaille dans une plantation de plantes aromatiques. Il y rencontre le Belge Walter De Boeck, un spécialiste du développement rural et des plantes aromatiques qui a travaillé aussi bien pour le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) que pour des entreprises européennes dont l’approvisionnement en denrées devient de plus en plus crucial. À l’époque de la rencontre, c’est le boom des huiles aromatiques et des huiles essentielles (pures ou pour des produits tels que des gels douche ou du shampooing) et le client de Walter recherche des produits « avec une histoire ».
L’aviculture pour commencer :
À son retour au Congo en 2009, Charles et son épouse récupèrent tant bien que mal leur concession, en mauvais état et en partie occupée par des personnes déplacées. Ils se lancent dans l’élevage de poules, qui les rendent assez vite financièrement indépendants. Avituri (« avi » pour aviculture et Ituri) est née.
Charles a également rapporté d’Ouganda quelques boutures de géranium odorant bourbon, une fleur originaire de La Réunion. Pour l’aider, il appelle Walter à la rescousse.
La culture est lancée avec succès : la plante, dont le taux de rotation est de six mois, était déjà cultivée en Ituri à l’époque coloniale. Une distillerie pilote est montée avec l’appui technique et financier de la société Nateva, spécialisée dans les plantes aromatiques et médicinales bio, qui est devenue la partenaire d’Avituri.
Cette firme du Midi de la France cherchait à l’époque à s’associer avec un fournisseur cultivant des huiles de bonne qualité pour les secteurs de la cosmétique et des soins de santé.
Les tâches entre les deux collaborateurs sont clairement réparties. Avituri prend en charge la culture, le ramassage et la distillation des plantes. La coopérative réalise également l’emballage et le transport des huiles essentielles jusqu’à l’aéroport d’Entebbe en Ouganda. Nateva organise pour sa part l’acheminement des produits vers l’Europe ainsi que la revente et la distribution sur le continent. La ferme est auditée chaque année par I’Institut für Marktökologie (IMO) qui délivre un certificat de respect des règles de l’agriculture biologique.
Trois ans après la reprise de la concession, 20 hectares de terre étaient déjà exploités. Si ce chiffre ne cesse d’augmenter depuis lors, Charles peut encore espérer agrandir sa production de 10 hectares, le marché de l’huile de géranium étant en pleine expansion.
Si le succès semble au rendez-vous pour Avituri, Charles tient à rappeler la fragilité de ce succès : « Nous restons très dépendants des pluies au moment de la récolte : les huiles essentielles sont principalement présentes dans les feuilles».
Les productrices s’associent :
Avituri donne du travail à 150 personnes, principalement des autochtones puisque la région ayant retrouvé une certaine stabilité, les personnes déplacées sont retournées chez elles. La concession se positionne de fait comme l’un des rares employeurs privés en Ituri.
Au sein de cette région où les hommes sont surreprésentés sur le marché du travail, accorder un revenu aux femmes est devenu un objectif phare d’Avituri. 80 % des employés de la plantation sont des femmes, pour la plupart des mères célibataires.
Celles-ci se sont d’ailleurs réunies en 2013 en une association de productrices, Arom’Ituri, qui a pour vocation de promouvoir la culture des plantes aromatiques et la formation des travailleurs en la matière. Cette même association organise un système de sécurité sociale pour ses membres, ainsi que des projets communautaires, moyennant un fonds social auquel Avituri et Nateva contribuent à raison de huit euros par kilo d’huile essentielle exportée en Europe. Dans ce cadre, un comité a également été établi pour veiller au bon respect des droits du travail au sein de la concession. Grâce à ce fonds social, géré de manière indépendante par les femmes, un quart des sommes récoltées sert à l’installation d’un dispensaire et à l’engagement d’un infirmier. Même s’il ne soigne officiellement que les gens du projet et les familles des membres de l’association, il concerne quand même une population de 1.500 personnes. Les trois autres quarts du fonds sont dépensés pour la scolarité : 200 enfants peuvent aujourd’hui aller à l’école.
Des salaires avantageux :
Le salaire individuel de chaque travailleur se scinde en trois parties. Sa première composante découle de la vente des huiles essentielles. Une deuxième provient de la caisse du Fonds Social, approvisionnée par Nateva, qui apporte 3,75 dollars par kg de géranium exporté, tandis qu’Avituri accorde 4 dollars par kg. Pour le premier semestre 2015, 9300 dollars furent récoltés pour un total de 1200 kg de géranium produits. ¼ du montant, soit 2325 dollars, fut consacré à l’achat de médicaments destinés au poste de secours et à de petites interventions de juillet à décembre 2015. Les ¾ restant, soit 6975 dollars, furent versés aux travailleurs en surplus de leur salaire mensuel. Sa troisième composante résulte du versement d’une partie de la prime équitable de Fair for Life, un label de commerce équitable créé en 2006 par l’Institute for Marketecology (IMO).
La prime versée par Fair for Life, soit 12,50 dollars/kg de géranium exporté, s’élevait pour le premier semestre 2015 à 15.000 dollars (1200 kg x 12,50 euros). Cet argent a servi à financer le maintien de la Certification Fair for Life, à payer des primes de campagne et des primes du commerce équitable aux producteurs.
Diversifier davantage :
Via Arom’Ituri, le Trade for Development Centre a également participé au projet Avituri, afin de pouvoir doubler la production d’huiles aromatiques et le nombre de bénéficiaires. Un deuxième vase de distillation a ainsi été ajouté dans la distillerie, ce qui permet d’augmenter la capacité de traitement des plantes à cinq tonnes par jour. Les deux cuves, qui fonctionnent en alternance, peuvent respectivement renfermer jusqu’à 500 kg de feuilles de géranium et garantissent une production d’environ 1 kilogramme d’huile essentielle lors de chaque distillation.
Au regard du bon fonctionnement de cette nouvelle installation, le TDC a financé un deuxième projet pour diversifier la production des huiles. Parmi les nouvelles cultures, cinq hectares sont progressivement plantés de thym, une plante promise à un bel avenir au vu du succès rencontré à la Biofach (principal salon européen d’agriculture biologique) par l’huile issue de la distillation test.
D’autres plantes à fort potentiel sont envisagées : la tagette, connue pour son arôme et ses qualités répulsives pour les insectes, ainsi que le « tea tree », un arbuste australien qui serait un excellent antiviral et qui pourrait être planté sur une trentaine d’hectares. Les investissements que requièrent ces plantes ne doivent toutefois pas être mésestimés. Ils concernent l’organisation de la collecte, de la culture et du pré-fanage ainsi que l’amélioration des voies d’accès aux terrains exploitables. La promotion de ces nouveaux produits sur le marché international fut assurée en 2015 lors de la Biofach.
Début 2016, 1550 kg d’huile de géranium aromatique, ainsi que des huiles essentielles de thym et d’Eucalyptus citriodora ont été envoyés à Nateva. Après filtration et analyse, ces huiles seront distribuées en plus petites quantités à une vingtaine de clients européens, dont deux en Belgique (Pranarome et Bioplanet, à travers la marque La Comba). Un site web (www.avituri.com) a également été créé, donnant un aperçu des activités et des produits. Il contient un documentaire sur la démarche d’Avituri.
Montant des appuis du TDC : 131 283 euros, de 2013 à 2015.